
celui de la Compagnie tout entière, sont intéressés à ce qu’une telle énormité
ne se consomme pas. Mais comment la prévenir ? la loi anglaise ne reconnaît
pas l’esclavage dans l’Inde : la jeune fille, bien qu’elle ait été, vendue à
son amant, et pour 9 roupies (22f,5o) encore, est parfaitement libre de le
quitter, si elle le veut; l’homme n’a sur elle aucune autorité que la loi anglaise
puisse faire respecter. Sentence du jeune officier : «Allez au diable, et
que la fille aille où elle veut ! »
Quoique cette condition d’état ne soit pas reconnue par la loi anglaise,
elle n’en existe pas moins dans l’Inde depuis sa prohibition qu’auparavant. Il
y a beaucoup d’esclaves à Calcutta ; mais quel Européen s’en est jamais aperçu?
Bendeh ( * ^ ) , que nous traduisons par esclave, signifie, il est v rai, littéralement
attaché ; mais à quoi ou avec quoi? Il est attaché à son maître, comme
les femmes, les enfants, les vieillards âgés, tous les membres de sa famille
enfin, que leur faiblesse fait dépendre de lui : c’est la servitude des moeurs de
la Bible. L’esclavage ne devient vraiment horrible que lorsque les maîtres sont
d’une couleur et les esclaves d’une autre; alors il n’y a plus de sympathie
entre eux. Il faut qu’ici cet état soit bien doux, puisqu’il reste et devient même
volontairement, tous les jou rs, celui de beaucoup de gens. Dans les années
de disette, on vend un enfant pour nourrir les autres. A la côte de Coromandel,
que désole souvent la famine, des familles entières se vendent pour subsister.
Le p è re , la mè re , les enfants, on a tout pour quelques roupies.
Et ils sont même onéreux pour celui qui les achète. Puisque leur maître ne
les fait pas travailler plus qu’ils ne faisaient étant libres, et qu’alors leur travail
était insuffisant pour les nourrir, il n’a acquis avec eux qu’une charge nouvelle.
Dans les Iles à Sucre, il y a une énorme différence entre le prix de la subsistance
journalière et le produit du travail d’un esclave. Cette différence va
dans la poche du colon, et paie les intérêts exorbitants de la somme qu’il a
empruntée pour acheter un esclave et les établissements où il l’emploie. Mais
ic i, rien de pareil.
Quoique les réductions faites aux appointements de certains emplois de
l ’armée indienne par le Gouverneur-général, me paraissent une violation des
conditions existantes à l’époque où les titulaires actuels de ces emplois étaient
entrés au service de la Compagnie, j’avoue cependant qu’elles ne me semblent^
pas bien dures, quand je vois l’existence aisée et recherchée quelles permettent
encore à de jeunes sous-lieutenants d’infanterie. Il n’en est pas un
qui n’ait un cheval, et fort peu qui n’aient une voiture ; une famille tout entière
se pourrait loger dans leurs bungalows; leur table est abondante. Faut-il donc
un si rare mérite pour être sous-lieutenant, qu’on ne le puisse trop payer? En
Europe, en France du moins, assurément non. Il y a bien peu de sergents qui
ne fissent d’aussi bons officiers que ceux que l’on élève pour être officiers.
Pour être ce que les Anglais appellent un Gentleman, un homme en est-il
plus qualifié chez nous pour commander aux autres ? non. Le principe de l’obéissance
dans l’armée française, depuis la révolution, est véritablement militaire.
On obéit au galon ou à l’épaulette de son supérieur, à l’épaulette ou au
galon seulement. Les soldats anglais obéissent, et obéissent admirablement,
il faut le dire, à leurs chefs,—d’abord parce que ce sont des Gentlemen, ensuite
parce qu’ils sont leurs officiers. Us se considèrent eux-mêmes comme d’une
classe destinée à l’obéissance, et regardent leurs chefs comme d’une classe faite
pour commander. Nul pays au monde n’est aussi imbibé, perverti d’aristocratie.
Avec ces sentiments chez, la multitude qui sert dans les rangs, il lui faut
évidemment des gens comme il Jaut pour officiers : et pour les faire respecter,
le Gouvernement leur doit un salaire assèz considérable. Dans l’Inde, la même
raison existe pour cela, plus puissante encore. La force matérielle, les Anglais
évidemment ne l’ont pas. C’est un prestige de supériorité, de dignité, de grandeur,
qui les fait demeurer les maîtres du pays. Ce prestige serait bientôt détruit
par la conduite brutale ou grossière d’officiers sortis des rangs. C’est bien
le moins, disent-ils, que l’on donne des gens comme il faut pour chefs à des
hommes qui presque tous sont de haute extraction. Des officiers européens
qui vivraient dans la débauche et dans l’ivrognerie, ou qui ne sauraient pas
donner à leurs moeurs un vernis d’élégance, seraient méprisés de leurs sipahis,
la plupart Brahmanes, sobres et décents. En outre, comme la pompe qui
l’entoure ne rend nulle part un homme si respectable que dans l’Asie, il
importe au service de la Compagnie que ses officiers vivent avec opulence.
Lord William Bentinck n’a donc pas seulement attaqué injustement, détruit
leur bien-être, disent ceux-ci, mais il a ordonné, avec sa Half-batta, lame-
sure la plus nuisible aux intérêts du Gouvernement qu’il prétendait servir.
Peut-être est-ce vrai.
Dès cantonnements de Barrackpour à Pultah-Ghaut, où je traversai la
rivière avec mon bagage, dans un bateau fait à dessein pour briser les voitures
et estropier les chevaux, il n’y a que 1 milles (| 1.). Je débarquai
sans accident, bêtes et gens, sur la rive droite de l’Hougli. Ces derniers s’étaient
complétés du cuisinier qui avait rejoint la bande le matin, et du Gras-
sy'ara(coupeur d’herbes) , que son zèle avait poussé d’une marche sur les
bords du fleuve. Malgré ce renfort, j ’ordonnai la couchée à Chandernagor.