
les appartements, et forment ainsi une salle immense qu’ils éclairent avec
une profusion de lampes, et où ils donnent à leurs amis et au public, sans
distinction, le spectacle de danses et de chants. Cette sorte d’amusement
s’appelle Nautch; durant les fêtes, on donne des Nautchs, comme chez!
nous, pendant le carnaval surtout, on donne des bals, et Nautch ne signifie
rien autre chose.
Mes hôtes désiraient me montrer ces pompes de l’Orient. Nous choisîmes,
entre les invitations que M. Pearson avait reçues, celles q u i, par le rang et
la fortune des amphitryons, devaient promettre le plus de magnificence, et
je laissai ce séjour tranquille avant-hier soir (7 octobre) pour accompagner
madame Pearson de fête en fête, et prendre moi-même, suivant l’occasion,
ma part du plaisir.
Une foule effroyable encombrait les rues étroites et misérables par où nous
devions passer pour faire notre première visite. La patience de notre cocher
anglais ne gagnait rien contre la stupide inertie de la multitude; le bâton
d’argent qui brillait entre les mains d’un serviteur assis près de lui , n’était
qu’un symbole oisif et inutile; poussé à bout, notre Anglais fit de son fouet
tout autre chose qu’un symbole; il lança ses chevaux avec prudence, mais
avec fracas, et la foule épouvantée s’ouvrit tout aussitôt. Nous augmentâmes
notre vitesse, pour augmenter devant nous la terreur, en raison des difficultés
toujours croissantes que nous rencontrâmes en approchant de la maison
où nous nous rendions.
Elle était illuminée extérieurement avec profusion mais sans goût. Quelques
Sipahis, placés à la porte, la laissaient obstruer par la multitude; ils la dégagèrent
avec difficulté pour nous faire ua passage. Au bruit de notre arrivée,
le maître de la maison était venu : il nous introduisit dans la grande salle
formée par la cour même; l’aire était couverte d’une toile grossière en guise
de tapis; plusieurs cercles de chaises étaient disposés tout autour, dont quelques
uns étaient occupés par des Hindous de la classe moyenne et des Européens
de la plus basse classe; nous nous assîmes au centre, séparés de tous,
en face d’une chanteuse que l’on fit approcher de nous et chanter, tandis
que les maîtres de la maison versaient sur nos mouchoirs de l’eau de rose,
de l’huile de sandal, et nous offraient le bouquet de la bienvenue indienne.
Ils étaient vêtus très-simplement de mousseline blanche, mais la plus fine du
monde. A l’exception d’un jeune homme qui portait un très-beau collier de
diamants, aucun n’avait de joyaux. C’étaient des géns de bonne mine, polis,
et d’une insinuante obséquiosité. Ils parlaient anglais avec facilité. Quand nous
eûmes vu suffisamment leurs dieux dont ils semblaient faire le meme cas que
n ous, ils voulurent nous conduire dans les appartements supérieurs ; nous
nous laissâmes faire, dans l’espérance d’y trouver des personnes de notre
connaissance; nous arrivâmes, non sans peine, par un misérable escalier,
sale et délabré ; mais nous n’y vîmes que la même espèce de gens à peu près
que nous avions vue en bas. Ce que l’on appelle ici les Portugais, représente
exactement, devant les Anglais, les gens de couleur libres du nord des États-
Unis en face des citoyens américains. Exclus de la société anglaise, ils saisissent
toutes les occasions de se mêler physiquement avec elle. Il y a dans la physionomie
et dans l’attitude de cette race dégénérée une expression de bassesse
repoussante. Nous allions sortir, quand les maîtres de la maison, qui nous
entouraient, firent apporter des chaises au milieù de la chambre, et appelèrent
aussitôt, pour nous retenir, leurs Nautch-Girls (danseuses), dont ils disaient
des merveilles.
Deux jeunes femmes, dont l’une était beaucoup trop grasse, et 1 autre beaucoup
trop maigre pour être jolies, entrèrent suivies de deux musiciens. Quoiqu’on
les dît Cachemiriennes, elles étaient noires comme des Négresses ; leurs
cheveux mal peignés retombaient sans cesse devant leurs y eu x , et les obligeaient,
pour les relever, à tirer de dessous leurs énormes manches leurs
mains couvertes de joyaux. Elles étaient vêtues de mousseline bleue et rose,
bordée d’a rgent, la plus fine du monde, et chacune assurément n en avait
pas moins de cent aunes sur le corps. Ce luxe, que défraie la munificence de
l’amphitryon, n’a rien de pittoresque. Il était impossible de faire aucune
conjecture sur les formes de nos bayadères ; leur énorme vêtement 11e laissait
pas même voir le bout de leurs pieds. Elles chantèrent, d abord séparément
, puis ensemble. L’un des musiciens qui se tenaient debout derrière elles,
jouait avec ses mains sur deux petits tambours attachés à sa ceinture ; 1 autre
tirait d’une sorte de petit violon à huit cordes, des sons dignes d accompagner
le petit bruit ridicule de son camarade. Le chant des bayadères était la plus
insipide psalmodie ; elles marmottaient plutôt qu elles ne chantaient, et n é-
levaient la voix que pour former les sons gutturaux, si fréquents et si désagréables
dans la langue persane. La multiplicité des nasales sourdes de leur
litanie, et le rauque bourdonnement du tambour et du violon qui les accompagnaient,
formaient ensemble un bruit bizarre assez semblable à celui de
la guimbarde: Elles paraissaient prodigieusement distraites et ennuyées ; les
deux virtuoses qui jouaient derrière e lle sb â illa ien t démesurément, et 1 audience
montrait les mêmes sympathies de plaisir.
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