
elle ressemble assez à ceux de nos grands, arbres que nous déshonorons en
les élaguant jusqu’à une grande hauteur.
J’arrivai bientôt sur les bords d’une autre rivière plus large que la précédente
et plus profonde. C’est une branche de la Dummoudah qui communique avec
l’Hougli et sert à la navigation. Od a bâti un pont suspendu pour la traverser
; il paraît terminé, cependant je passai dans un bac. Mon Tchouprassi fit
merveille, le bateau était prêt à mon arrivée : le Kotwal (chef d’un village)
et un sipahi d’assez mauvaise mine m’attendaient sous les armes0 en ordre
de bataille, l’un avec son sabre dans le fourreau, et l’autre sa baïonnette.
Mêmes aspects de l’autre côté du canal ; cependant quelques petits champs
de Cannes à sucre et de Pois congo ( Cytisus Cajan ) font diversité à la monotonie
de la campagne. Il y a autour d’eux une intention de haie. On projetait,
à ce qu’il parait, de les enclore avec des Aloës ( Agave Americana),
ou des Médeciniers ( Jatropha Curcas ) , ou des Euphorbes (Euphorbia Tithy-
maloides).
Le chemin est vaguement limité par les cultures : là où il passe sur des terres
vagues, il disparaît presque entièrement. Il doit avoir mérité le nom de route
il y a quelques siècles; il était bordé alors de pipul et de banian-trees, on
en voit encore çà et là les restes. Sous une de ces antiques avenues , j ’aperçus
de loin une nombreuse volée de très-gros oiseaux; j ’approchai lentement pour
ne pas les faire envoler : c’étaient des Vautours. La carcasse presque décharnée
d’un boeuf gisait sur la terre; deux chiens la secouaient avec fureur
pour en arracher les restes. Deux autres, placés près d’eux en sentinelle, observaient
une vingtaine de vautours qui les touchaient presque ; nul ne bougeait
, mais chacun regardait son ennemi prêt à s’élancer sur lui au moindre
mouvement. Je restai plus d’un quart d’heure devant cette scène nouvelle;
et quelque répugnance qu’ait un voyageur à débuter par une invraisemblance,
je dois dire que j ’ai vu les chiens se relever de garde. Je croyais d’abord que
les deux mangeurs étaient les plus forts, et les deux spectateurs les plus faibles,
tenus en respect par les premiers, comme eux tenaient les vautours en arrière
à distance; mais plusieurs fois ils se relayèrent. Rien de si pitoyable,
de si ignoble, de si ridicule que la figure des vautours, regardant les derniers
lambeaux du cadavre disparaître sous la dent des chiens. D’autres,
moins courageux, étaient perchés sur un grand arbre en face : un coup de
pistolet que je leur tirai les fit envoler ; il fit fuir aussi quelques Adjudants
qui se tenaient dans un champ voisin, au dernier rang des spectateurs.
Mais à peine produisit-il quelque émotion parmi les acteurs et leur galerie :
les chiens dressèrent les oreilles, les vautours élevèrent à moitié leurs ailes,
puis tranquillement se remirent, les uns à manger, les autres à flairer. Une
seconde décharge faite contre eux les mit tous en fuite -Illustration du
proverbe, que la faim est plus forte que la peur; car il n’y a pas d’animal
si sauvage que les chiens de ce pays. Les chacals, qu’un terrier anglais, gros
comme un ch a t, fait fuir par centaines, les attaquent. Quand ils rencontrent
un homme, ils s’enfuient rarement en aboyant ; cependant ils sont de taille
à se défendre. Us sont de la force et de la figure o d’un chien de b e rOg er,'
d’espèce bâtarde, de pelage très-varié, mais de proportion et de physionomie
très-semblables.
A peu de distance, deux animaux que ma mauvaise vue m’empêcha de
reconnaître, traversèrent tranquillement la route devant moi ; je les aperçus
long-temps dans une rizière voisine sans pouvoir les tirer : je suppose que
c’étaient des Hyènes, De tigres, il n’y en a pas ic i, on n’en connaît que
le nom.
Je vins coucher à Poeuloua, Purruah sur ma carte ( i ) , misérable hameau
où il y a un dâk, mais point de bungalow. T1 fallut planter la tente; longue
besogne, quoiqu’elle soit bien légère. Le Tchouprassi choisit l’emplacement
sous un quinconce de manguiers, au bord d’un grand étang, connu spécifiquement
sous le nom de Bera talab Lh ) ; et tous mes gens se mettant
à l’ouvrage sous la direction du Kalaschi ( ) , les uns pour nuire par leur
stupidité, et très-peu pour aider par leur force, il me fallut attendre une
heure pour être installé chez moi ; mais je m’y trouvai fort à l’a ise, ayant
un lit pour m’étendre, et tout mon bagage autour de moi. Mon cheval fut
attaché au pied d’un arbre voisin, dont le feuillage devait l’abriter de la pluiè ,
le cuisinier se mit à l’ouvrage, et, quand le maître eut fini, tous les serviteurs
commencèrent les apprêts de leur mince repas et de leur bivouac. Quoique
je n’eusse fait que 6 cos. (3 i l . ) , l’impatience et la fatigue de ce genre de
vie tout nouveau abrégèrent singulièrement la veille studieuse que je m’étais
promise sous ma tente. Je m’endormis de bien bonne heure, au bruit de la
pluie et des glouglous des houkas. Tous mes serviteurs fument. Admirable
ressource contre une situation misérable !
( i) A New Map o f Hindostan ; by G. e t J. Cary. London, 8 6, S* - James’s Street. July i*S
18a4 ( 5 feuilles ).