
Le Cap de Bonne-Espérance, par sa position géographique, est une relâche
excellente pour les navires qui vont de l’Europe dans l’Inde, et ce n’est guère
que sous ce rapport que les Hollandais, jadis maîtres de la majeure partie du
commerce de l’Inde, en estimaient la possession. Les bâtiments y trouvent dans
toute saison ; soit à Table-Bay, soit à False-Bay, un abri contre le mauvais
temps, si commun dans ces parages, et un bon mouillage pour refaire leurs équipages
et renouveler leurs provisions. Il importait donc aux Anglais d’en être
les maîtres, bien que déjà Sainte-Hélène leur appartint, qui offre une partie
des mêmes avantages, et ils s’en sont emparés, moins pour l’utilité directe qu'ils
en tirent, que pour empêcher que d'autres en profitassent.
Cette colonie d’ailleurs n’a aucun principe naturel d’accroissement très-rapide.
Le climat, il est vrai, en est très-salubre, mais il est tempéré ; il n'admet
la culture lucrative ni du sucre, ni du café, ni des autres productions équinoxiales.
C’est du blé, de l’orge, de l’avoine, du vin, que le sol produit : il nourrit
aussi beaucoup de chevaux et un bétail très-nombreux ; mais où trouver des
consommateurs étrangers pour ces denrées surabondantes ? Les navires qui
relâchent au Cap en allant dans l’Inde, sont à peu près vides, il est vrai; mais
les grains sont encore à plus bas prix dans l’Inde qu’au Cap. Au retour, leur
cargaison est généralement complète. D’ailleurs, c’est une longue navigation
que celle du Cap en Europe, en Angleterre : elle dure deux mois; elle doit
donc être chère ; et le prix du fret, ajouté à la valeur première de ces denrées
communes et encombrantes, les céréales, permettrait rarement sans doute
de les vendre avec avantage en Angleterre, malgré le haut prix des grains
dans ce pays. Puis, il faudrait que cette importation coloniale fût permise, et
je doute quelle le soit par le Corn-Law. Un jour, peut-être, entre les établissements
naissants de l’Australasie et le Cap, y aura-t-il des relations commerciales
; mais ce sont les produits du sol qui forment partout la plus grande
masse des échanges; et les productions delà Nouvelle-Hollande civilisée ressembleront
beaucoup à celles du Cap de Bonne-Espérance. Le Cap n’exporte
aujourd’hui que ses vins les plus précieux en Europe, et des céréales et des
chevaux à l’Ile-de-France (r).
(i) L’exportation des vins était plus considérable autrefois ; elle se faisait, indistinctement
pour tous pays, par bâtiments de toutes nations. La Hollande alors et les Etats-Unis en consommaient
beaucoup. Depuis peu, le Gouvernement anglais a accordé aux navires anglais le privilège
exclusif de cette exportation. Ce privilège vient de ruiner au Cap le commerce des vins sans
servir beaucoup aux intérêts des armateurs anglais. J’ai vu au Cap. l’original d’une pétition sans,
fin adressée au Parlement, et que tous les habitants vont signer. Entre autres griefs dont ils
demandent le redressement, ils réclament surtout l’abolition de ce privilège.
La production des denrées agricoles y est limitée par les bornes étroites de
la consommation. Les grands défrichements, lors même qu’on aurait des bras
pour les opérer, seraient sans objet. Chaque fermier cultive de quoi vivre
dans l’abondance : il y est aisément riche des choses nécessaires à la .vie ;
mais les superfluités du luxe européen lui sont interdites. Il n’a point, dans
sa richesse, d’objets d’échange pour se les procurer. Ce n’est pas comme aux
Etats-Unis d’Amérique, où l’on trouve dans des Lo g-Ho us es, au milieu des
forêts sans fin de l’ouest, les frivolités les plus inutiles, les recherches les plus
minutieuses de la civilisation européenne. Le commerce les apporte dans leurs
solitudes, aux New-Settlers, dont il transporte les produits ruraux dans toute
l’Amérique équinoxiale.
Peut-être que si les Anglais, au lieu de n’exercer au Cap que l’industrie du
Gouvernement, et de demeurer par là étrangers à ce qui constitue directement
la force et la prospérité d’un pays; si, dis-je,' ils formaient la population de
cette colonie, elle aurait pris le développement rapide de tous les établissements
d’outre-mer commencés pan eux; car ce peuple, il faut bien le reconnaître,
a un principe de progression qui laisse tous les autres comme sta-
tionnaires derrière lui. Les Vénitiens jadis, puis les Portugais, les Espagnols
ensuite, et les Hollandais après eux, eurent leurs destinées. Venise n’existe plus ;
le Portugal et l’Espagne cessent, pour ainsi dire, de faire partie du système
des peuples européens ; la Hollande languit. L’Angleterre a recueilli l’immense
héritage de leur puissance et de leur prospérité : et elle le gardera long-temps.
L’Amérique septentrionale lui appartient désormais sans retour. L’Inde, à
qui elle ne fournit que des rois, lui échappera sans doute ; mais tandis que ce
grand événement politique se prépare, elle jette, en silence, à l’extrémité du
monde, le fondement d’un nouvel empire colossal comme l’Amérique du Nord.
Qu’importe le nom, l’appellation politique d’un peuple ? Il a beau changer,
ce peuple ne reste-t-il pas toujours le même? Parce qu’un jour, lassés des vexations
d’une partie de leurs concitoyens, des citoyens anglais, qui avaient formé
des établissements coloniaux dans l’Amérique septentrionale, se révoltèrent
contre leur injuste autorité, contre la mère-patrie, et cessèrent d’obéir à ses
lois, déclarant qu’ils se gouverneraient à l’avenir eux-mêmes, et formeraient
une association politique entièrement indépendante de l’association politique
des habitants des Iles Britanniques de l’Europe, ces hommes, en rejetant le
nom de citoyens anglais, purent-ils cesser aussi d’être Anglais ? La nationalité
politique de leurs enfants, le peuple actuel des Etats-Unis, n’est pas anglaise,
il est vrai; mais le sang de ce peuple est anglais; sa langue, c’est la langue de
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