
Cette forteresse doit être aussi ancienne que l’établissement des hommes en
ce pays.
On y monte par un sentier impraticable aux chevaux, tracé sur la pente
orientale, au travers des bois qui la couvrent, et par un chemin à peine
meilleur, qui serpente sur la face du nord. Une entrée correspond à chacun
de ces chemins. A 200 pieds environ (65“) sous le sommet, commence un
escarpement vertical, et les deux sentiers, tous deux creusés dans le roc à
partir de cette hauteur, sont défendus par des ouvrages ménagés dans son
épaisseur, ou bâtis de larges pièces de Grès.
Quatre portes, qui se commandent, s’élèvent les unes au-dessus des autres,
à l’entrée située du côté du levant : il y en a cinq à l’entrée du nord.
Chacune défend un passage étroit, creusé dans le roc, pour monter à la
suivante le long de l’escarpement, et est percée dans une haute et épaisse
muraille crénelée. C’est un ouvrage plein de grandeur ; ces murailles, ces
voûtes sous lesquelles on passe, sont couvertes de sculptures en relief. Les
rochers eux-mêmes sont tous sculptés. Rien n’a été fait pour faciliter l’accès
des premiers ouvrages; mais dès qu’on les a franchis, au dedans de leur
enceinte, les degrés creusés dans le roc sont d’une largeur magnifique. Il
y a sans doute bien des siècles que le temps les ruine, mais bien des siècles
encore s’écouleront avant qu’il les ait effacés.
Les antiques murailles qui s’élèvent tout autour du sommet de la montagne,
sur la crête des escarpements, n’ont pas été bâties par les premiers habitants
de cet étrange lieu; un grand nombre des pierres dont elles sont construites
, sont des débris d’un âge antérieur. Elles sont chargées de sculptures.
Adjighur est une mine au second degré.
Où sont les populations et les trésors qui furent employés à ces immenses
travaux ? Le sommet du plateau, l’enceinte de la forteresse, n’est qu’une
roche aride où végètent quelques tristes arbrisseaux; et les plaines d'alentour
ne nourrissent qu’une population misérable et peu nombreuse.
Les jungles descendent sur les pentes des montagnes, et envahissent les
vallées. La nature reprend son empire.
Deux grandes masses de ruines s’élèvent encore sur le plateau. Ce sont
les restes d'un temple hindou. Leur architecture n’a aucune ressemblance
avec celle des temples de Bénarès, et ressemble plutôt à celle du sud de
l'Inde. La complication de ses lignes est excessive ; elle est entièrement chargée
de reliefs, et décorée de ciselures d’une extrême légèreté.
I l n'est pas de buisson qui ne couvre une statue mutilée, ou une pierre
richement sculptée. Vers la porte du nord, quelques pans de murailles se
tiennent encore debout, qui semblent seules cependant avoir appartenu à
la demeure des hommes. Ailleurs, les débris dont le sol est jonché sont
ceux de temples hindous.
Une longue inscription, en langue bundelkundie, est gravée sous une des
portes de l’entrée.de l’est, sur les rochers. Les caractères, qui en sont parfaitement
conservés, me paraissent ressembler beaucoup au Devanagari. Un
Pundit de ces provinces les ht aisément. Si sa traduction est fidèle, Adjighur
aurait 800 ans d’existence, et eût été fondé par un certain Mâlik.
Je lui suppose une antiquité bien plus grande. L’histoire moderne de
l’Inde se tait sur ce nom d'Adjighur, tandis que la forteresse voisine, et pareillement
inexpugnable, de Kaüinger, occupe une foule de ses pages.
Le prince qui put élever ces immenses ouvrages, dut régner sur un grand
pays ; et dans les guerres qui marquent seules la succession des ages dans
les annales de l’Inde, il dut jouer un grand rôle. Le silence de l’histoire
atteste, il me semble, l’excessive antiquité de son existence. Si, au temps
des empereurs Patans, Adjighur eût été autre chose que ce qu’il était il y a
20 ans, la résidence d’un mince Rajah, sans autre richesse que sa sécurité
derrière ses murailles inexpugnables, les grandes armées qu’ils envoyèrent
tant de fois, avec des succès divers, contre le prince de Kallinger, eussent
aussi assiégé cette place.
Deux compagnies de sipahis l’occupent aujourd’hui, qui montent la garde en
habit d’écarlate européen derrière ses antiques créneaux. Je n’ai jamais vu de
troupes plus brillantes que dans cette étrange solitude. Deux jeunes lieutenants
européens les commandent, dont le plus âgé, qui n’a pas encore de
barbe, est le prince semestriel de cette place jadis si importante.
Adjighur n’est que depuis 1812 au pouvoir du Gouvernement anglais. Le
Bundelkund, alors entièrement indépendant, servait de retraite à des partis
qui infestaient les territoires environnants de la Compagnie, et ses Rajahs,
du haut de leurs montagnes, semblaient menaçants. C’est alors qu’on envahit,
et leurs retraites où ils se croyaient en sûreté, et les plaines qui faisaient
leur richesse. Les antiques murailles d Adjighur furent battues en brèche
par les boulets anglais. Mais quand elles furent renversées, les ingénieurs
s’aperçurent que c’était la montagne elle-meme qu il fallait ouvrir, et ils renoncèrent
à l’idée folle de l’entreprendre. La famine seule pouvait les faire
entrer dans la place : elle leur en ouvrit les portes après un an de blocus.
Le Rajah descendit dans la vallée, et il y v it, depuis ce temps-là, humble et