
Il n a jamais été question, dans cette Colonie, des cruautés exërcées aux
Antilles.
Une cargaison de Noirs, de la côte occidentale d’Afrique, fut importée autrefois
à Bourbon. Ils étaient fort beaüx et furent enlevés de suite. Nul Traitant,
cependant, ne rèfit la spéculation. Ces Noirs étaient intraitables. On fut obligé
d’en pendre un grand nombre. C’est un fait bien connu, que ceux de la Côte
orientale sont bien plus timides et plus dociles. Les Malgaches ne le sont pas
moins.
Un principe faux entraîne une multitude de conséquences fausses. L’Esclavage
le prouve de mille façons.
Un homme, en se faisant le maître d’un autre homme, en lui retirant la libre
disposition de soi-même, ën se déclarant le propriétaire de tout ce que l’Esclave
peut acquérir, quel moyen se réserve-t-il de le contraindre au travail? La violence
seulement. Il y a beaucoup de Noirs de culture, des Gaffes surtout, qui
ne possèdent rien au monde que le chiffon dont ils se couvrent les parties
sexuelles. Ils travaillent six jours de la semaine;"et dans quelques habitations,
sept, autant qu on croit pouvoir'les y forcer sans les faire mourir d’épuisement.
C’est une faute! Comment les punir? Ils n’ont rien, ôn ne leur
prendra rien : on ne leur ajoutera aucune charge nouvelle, car on sait qu’ils
y succomberaient; et leur mort serait une perte de 3oo ou 5oo piastres ( i 5oo
ou 2,5oo fr.). Leur retranchera-t-on leur ration d’araek? Mais on croit que cette
liqueur est nécessaire à leur santé ; Ce n’est que pour cela qu’on leur en donne :
ce nest pas leur goût quon consulte à cet égard. La prison ? Ils n’y feront
rien et s y trouveront heureux. D’ailleurs vous y perdrez lé produit de leur
travail accoutumé, à moins que vous ne les renfermiez que la nuit. Dans une
grande habitation, il y a bien aussi quelques travaux plus rudes, plus fastidieux
que les autrës; la moutüre du maïs, qui sert à la nourriture de la
bande, par exemple: elle sert der punition aux fautes les plus légères, et elle
est bien choisie. Mais un Esclave commet une faute plus grave : il vole. Le
livrerez-vous à la justice? Elle vous en priverait pendant plusieurs années en
le condamnant aux travaux forcés. C’est alors que vous vous faites vous-même
son juge ; vous lui faites donnér cent coups de fouet. Il recevra chez vous
la même peine; si vous le surprenez vous causant du dommage avec intention.
On nous reproche cette sévérité, disent les colons; cependant un domestique,
en Europe, qui vole son maître, est bien autrement puni : il va
aux galères ; et vos galères sont affreuses !
Le domestique Européen qui vole son maître, est bien plus coupable que
l’Esclàvè. Il est volontairement au service de ce maître; il est entretenu par
lui dans une aisance physique très-supérieure à celle où vit l’Esclave, soumis
au sien par la force ; on ne lui laisse jamais sentir la faim ; enfin, quelle que
soit la bassesse de son extraction, il a été élevé au milieu des exemples de
la civilisation. Il sait que le vol est une mauvaise action ; si déplorable qu’ait
pu être pour lui l’éducation de la famille, il sait qu’il est très-coupable, très-
punissable, très-méprisable quand il vole; une foule de considérations doivent
le détourner de ce crime. Qui retiendrait l’Esclave ? N’a-t-il pas souvent
été volé lui-même ? N’a-t-il pas sur tous et toutes choses le même droit qu’on
a pris sur lui ? A-t-il reçu la moindre éducation morale ? Quel sentiment pourrait
balancer chez lui le désir de jouir de ce qu’il va dérober, ou de se venger
sur la propriété de son maître ? Se méprisera-t-il après, plus qu’auparavant ?
Pas du tout : il sait qu’il sera puni, s’il est découvert; voilà tout. Je ne sais
rien de si absurde que cette discussion des droits des maîtres sur leurs Esclaves.
Dès qu’il y a des maîtres d’un côté , et des Esclaves de l’autre, il n’y a
plus de droits, ou plutôt il y a tous les droits. La force seule gouverne :
îe maître, tant qu’il la conserve, fouette son Esclave; il n’y a pas de lois
réstrictivês de sa puissance sur lui : il les éludera toujours, et gardera
toujours la faculté, non seulement de le fouetter, mais de le faire mourir.
Ne peut-il pas l’âccabler de coups, le surcharger de travail, et ne lui donner
qu’une nourriture insuffisante et malsaine ? Puisqu’il est son maître, il peut
en faire tout ce qu’on peut faire de sa propriété, il peut le détruire.
L ’Esclavage n’est pas un état de paix, c’est une conséquence et une continuation
de la guerre. I/Esclave, sous les peines terribles imposées aux vaincus,
peut former toutes les entreprises hostiles contre son maître. Il peut
le voler, il peut essayer de le tuer. Mais il ne possède rien pour se racheter,
s’il succombe. Sa propre personne appartenait déjà à son maître, il n’y a
plus que sa vie qu’on puisse lui ôter. Cependant, même après l’avoir découvert
dans l’entreprise la plus dangereuse pour sa sûreté, le maître ne se décidera
que rarement à user de son droit du plus fort et à le faire mourir. L’avarice,
et la pitié peut-être, lui conseilleront de l’épargner ; il redoublera de surveillance
autour de lui, il cherchera tous les moyens de l’empêcher de lui nuire,
il lé musèlera plus étroitement que jamais, mais il le gardera pour tirer
quelque profit de son travail. Nous autres, nous ne tuons pas les chevaux
vicieux : nous savons pourtant bien que jamais nous ne les corrigerons ; mais
ils peuvent servir encore à quelque chose malgré leurs défauts, même les plus
dangereux. Nous leur couvrons les yeux, nous les entravons fortement, et