
billet. Il y aurait une prétention marquée d’aristocratie à dire simplement
Monsieur. Je le faisais innocemment pour être plus poli, et des amis m’ont
engagé à y renoncer.
On se visite maintenant très-peu : on manque absolument de but pour le
faire. Les hommes seuls , qui ont des affaires et qui ont besoin les uns des
autres, vont se voir le matin avant le déjeuner : mais c’est entre ce repas et
le tiffin que se font les visites cérémonieuses; après le tiffin jamais, et le
soir, après le dîner, pas davantage.
Il se fait une grande consommation de romans et de revues anglaisés ;
mais comme celles-ci sont en général fort bonnes et habituellement sérieuses
par la nature des ouvrages dont elles rendent compte, on ne les lit guère ;
on se contente de les payer et de les recevoir.
C’est à peu près ainsi que la haute société de Londres prouve sa passion
pour la musique italienne. On loue une loge bien cher à l’Opéra, et l’on y
fait acte de présence et d’ennui.
Toutes les femmes reculent devant les formidables colonnes des journaux
consacrés aux débats parlementaires. Il y a de quoi, je l’avoue, à 4>ooo lieues
surtout du heu de la scène , et lorsqu’il est très-incertain si jamais on y
retournera. C’est une justice à rendre aux journaux anglais qu’ils sont prodigieusement
ennuyeux. Ceux qui se publient dans l’Inde ne le sont pas
moins; aux Etats-Unis cest la même chose : il y a dans tous une certaine
lourdeur révoltante pour le goût fin et léger des Français. L’esprit, chez les
Anglais, et souvent l’esprit fort et le plus original, a cette forme pesante.
Je ferais comme les Anglaises, à leur plaee; elles s’exposent d’ailleurs, en
devenant des femmes capables de causer de choses sérieuses avec un homme
de mérite, à passer pour savantes, Mue stockings, ce qui est une bien grosse
injure.
Rien n’est si plat que l’aspect du cours à l’heure de la promenade. Une centaine
de voitures, presque toutes européennes, de calèches découvertes et de buggys
y paraissent à la file lés uns des autres. Les voitures à deux chevaux sont
conduites par des cochers indiens, habillés de blanc. Derrière courent, en
s’accrochant aux ressorts, et quelquefois aussi en montant sur le train, deux
misérables valets d’éeurie qu’on appelle Saïsse y le même usage existe à Pon-
dichéry , où ces gens sont appelés Cavalier. C’est un principe qu’il faut un
homme pour soigner un cheval, un autre pour le nourrir, et que celui qui
le soigne doit le suivre partout. Les saïsses portent à la main un époussetoir
de crin ; ils sont à la discrétion du cocher qui les mande pour tenir les chevaux
par la bride lorsqu’il y a un mauvais pas à franchir, ou que la voiture s’arrête,
et pour chasser les mouches autour d’eux.
Ces malheureux, qui passent leur vie au milieu des chevaux , en ont peur
toute leur vie; ils ont toujours l’air de s’approcher d’eux pour la première fois.
- En général, ce sont des hommes en habit noir ou en veste blanche qu’on
voit dans les carrosses, et le buggy est l’attribut des habits rouges. Le service
civil de la Compagnie est payé bien plus cher que le militaire.
Les cavaliers sont nombreux; ils galopent régulièrement pendant deux
heures, seuls ou deux à deux. Ce n’est que le matin que les femmes vont à
cheval.
La présence de quelques natifs dans cette mêlée ne la rend pas plus pittoresque.
Un Asiatique, avec des serviteurs de sa nation dans leur costume ,
qui se montre en voiture au bois de Boulogne, fait plus d’effet; il y a un
contraste, qui manque ic i, non pas en lui seulement, mais entre ses gens
et les livrées européennes. Peu de riches Hindous se font voir au cours :
ces hommes, à teint clair, à grande barbe, à si nobles traits, sont des Persans.
Il y a aussi quelques Arméniens vêtus de blanc, mais qui portent, au lieu
dé turban, une casquette noire ; ils ont l’air plus Européens qu’Asiatiques. Les
Half-Cast et les Portugais, qui ne sont pour la plupart que des Sangs-mêlés,
paraissent em. assez grand nombre à la promenade : tous sont négociants ou
gens de commerce. Quoiqu’il y en ait de riches, ils forment une classe inférieure
, peu estimée, et à laquelle on ne peut s’allier sans disgrâce.
Tittagur, le 9 octobre 1829.
F et es r elig ieu ses . — La liturgie hindoue rappelle chaque année , vers cette
époque, une fête que célèbrent d’une manière différente les divers peuples de
l ’Inde, mais qui, d’une extrémité à l’autrè de cette vaste contrée, suspend
pendant dix jours toutes les transactions de la vie civile. G’est une sorte de
carême et de carnaval tout ensemble. Les peuples du Bas-Bengale honorent
plus particulièrement alors une de leurs divinités femelles. Ceux du nord, au
contraire, maudissent et détruisent une divinité mâle ; les uns et les autres
s’accordent seulement en c e c i, qu’ils finissent par brûler leurs idoles, et porter
leurs débris dans le Gange.
Les riches Babous de Calcutta dressent, dans une salle d’honneur de leur
maison, un autel de clinquant et d’oripeau, où la figure de Vischnou, avec
ses yeux rayonnants, préside à la burlesque assemblée de l’Olympe indien. Ils
couvrent d’une large tente la cour carrée autour de laquelle sont disposés