
de faire deux ou trois toilettes par jour. Ils trouvent du plaisir à se gêner,
dans la folle idée qu’ils se témoignent du respect à eux-mêmes.
Les Médecins civils que la Compagnie entretient dans ces sortes de stations,
ont le droit de trafiquer. Au Bengale, ils sont tous indigotiers, ou spéculent
sur cette denrée. C’est le cas de celui qui réside ici. Quelquefois ils cumulent’
quelque autre petite fonction, qui alors ajoute à leurs émoluments : par exemple,
ils sont maîtres de poste. Quand c’est un employé d’un rang supérieur qui
réunit ces attributions aux siennes propres, comme un Magistrat ou comme
ici un Collecteur, il ne reçoit pour elles aucun supplément de salaire.
Quoique important par ses revenus, le district de Burdwan n’aurait droit
à aucune assistance spirituelle aux frais de la Compagnie ; mais les âmes chrétiennes
de l’Angleterre, qui souscrivent pour le salut des âmes de toutes couleurs
dans lln d e , y envoient chaque année une petite cargaison de prêtres,
placés par les Directeurs des sociétés bibliques à la disposition de l’évêque, et
un de ces soldats de la foi veille ici au salut, de la petite communauté anglicane
dont il est le pasteur bénévole, et travaille de son mieux à envoyer,
par la même occasion, quelques âmes d’Hindous dans le Paradis. C’est un
Allemand; mon hôte, qui paraît fort religieux, l’a eu hier tout le jour en
visite, et je suis allé lui faire la mienne aujourd’hui. On dit que M. Daerr
parle parfaitement le bengali; j ’en doute : il parle si peu intelligiblement
l’anglais, après plusieurs années de résidence parmi les Anglais, il y a tant
de sons qu’il ne peut former, que ce serait merveille s’il était plus heureux
dans un langage bien plus différent du sien. Néanmoins il prêche l’Évangile
à quelques natifs, et célèbre pour eux le service de l’église anglicane,
auquel ils assistent sans être chrétiens, et par simple curiosité, il me semble.
Près de sa maison, qui n’est pas une des plus mauvaises de la station, il y a
une école où il est censé instruire les enfants. Est-ce pour en avoir moins
qu’il demeure à 2 milles (5 lieue) de la cité native? La précaution sans
doute est superflue : on dirait cependant d’une mauvaise plaisanterie.
J’ai dénombré tout le Gouvernement du district. On voit qu’il n’y a pas
un seul Européen employé dans une position subalterne; c’est le système de
l’Administration de ce pays. Le petit nombre d’agents qu elle emploie et montre
aux natifs, sont tous dans une situation faite pour commander le respect.
Les Assistants, là où l’on en accorde au Collecteur ou au Magistrat, et qui
sont de jeunes échappés du collège de Fort-William, sont rétribués de manière
à tenir une maison honorable. Les scribes et les commis de toutes
espèces, dans les bureaux de ces messieurs, sont tous des natifs.
Le capitaine Yetch, qui a 22 ans de résidence dans l’Inde, employé souvent
comme il l’est ic i, m’assure que ce premier échantillon que je vois dune
Station civile, représente parfaitement ces sortes d’Établissements. Cette petite
société européenne, perdue au milieu d’un peuple étranger, se renforce généralement
dans le Bengale de quelques planteurs d’indigo du voisinage. Ils
visitent la station en voisins ou en amis, souscrivent avec ses membres aux
nouveautés littéraires, e tc ., etc.
Des rivalités, des jalousies ridicules divisent souvent ces familles. De la
froideur ou une union assez froide, voilà le terme le plus habituel de leurs
relations. Il n’y a pas plus d’effusion de moeurs qu’à la ville. Chaque famille
vit retirée, et, à l’exception de quelques dîners où presque toutes se réunissent,
passe la plupart de ses soirées, solitaire. Les Anglais, quoi qu on en dise, ne s ennuient
pas moins que les Français du défaut de société, malgré qu ils négligent
souvent les moyens que leur situation leur présente de s en former une; mais
pour montrer leur intérieur comme nous le laissons voir à nos amis, leur
orgueil fou aurait des peines à souffrir qui nexistent pas pour nous; et ils
préfèrent s’ennuyer. Gomme c’est un mal auquel ils se condamnent ainsi volontairement
dans mille occasions où nous savons 1 éviter, ils s y habituent
et le portent bien mieux que nous.
Calcutta est ici un centre d’intérêts publics et privés vers lequel chacun
tourne les yeux et ouvre l’oreille. Éloignés de 1 Angleterre depuis 20 ans, les
membres de cette petite société ont changé en quelque sorte de nationalité.
Ils ne savent les choses de l’Europe que par les Journaux de Calcutta, prennent
parti dans toutes les querelles de gazetiers indiens, si parfaitement indifférentes
aux résidents de la grande ville. Ici, tout le monde, il me semble,
est de l’opposition. Il y a unanimité contre le système du Gouvernement de
la Compagnie ; et quoique l’on rende justice aux belles qualités de lord William
Bentinck, par les réductions duquel personne n a été atteint dans les
stations civiles, il y a cependant contre lui un sentiment de malveillance ou
de malignité qiii se trahit par la joie qu’on témoigne du dernier ordre de
la cour des Directeurs : c’est la défense faite au Gouverneur-général de déplacer
le chef-lieu du Gouvernement. Il est le Maître : comment être aimé
avec cela ?
La cité indienne de Burdwan est un assemblage de faubourgs populeux,
mais bâtis de misérables huttes de boue couvertes en chaume, comme Calcutta ;
point de temples remarquables ; peu de maisons d un extérieur décent. Celle
du Rajah occupe un immense emplacement, et se compose dune multitude
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