
le Gouvernement de Damas, avait administré, pendant plus de quarante ans,
soit comme lieutenant de Mahomet, soit comme chef indépendant, cette
importante province ; il avait su s’y faire une réputation de valeur et de générosité,
d'humanité et de justice: Les dépouilles de Chypre et de Rhodes,:
qu il avait partagées entre ses sujets, lui avaient valu l’amour du peuple.
Ses désirs ambitieux saisirent, pour se réaliser, le saint prétexte de poursuivre
les assassins d Othman. La chemise ensanglantée du martyr fut exposée dans
la mosquée de Damas. Soixante mille Syriens s’engagèrent sous ses drapeaux
pour venger le meurtre de son parent. Amrou, le conquérant de l'EgypteI
qui était à lui seul une armée, fut le premier qui salua le nouveau monarque,
et qui divulgua ce dangereux secret, que les Califes arabes pouvaient
être créés ailleurs que dans la cité du prophète. La politique de Moawiah
évita la valeur de son rival; et, après la mort d’Ali, il négocia l’abdication
de son fils Iiassan, dont lame était trop grande oit trop étroite pour l’empire
du monde, et qui quitta sans un soupir le palais de Cufa pour se retirer
dans une humble cellule, près du tombeau de son grand-père. Légitimé dans
le pouvoir suprême par la renonciation d'Hassan, le Calife Moawiah vit, à
la fin de sa carrière, 1 ambition de ses voeux couronnée par la consécration
d un nouveau mode de succession dans la royauté qui cessa d’être élective,
et devint héréditaire dans sa famille. Quelques murmures de liberté et de
fanatisme attestèrent la répugnance des Arabes, et quatre citoyens de Médine
refusèrent de prêter le serment d’obéissance à cette loi nouvelle; mais les
desseins de Moawiah furent conduits avec vigueur et adresse; et son fils
Ye zid, jeune homme faible et dissolu , fut proclamé le chéf des Croyants, et
le successeur de l’apôtre de Dieu.
«Hassan avait des frères. Hosein, le plus jeune d’entre eux, que son humanité
et sa piété faisaient chérir généralement, avait hérité de quelques-uns
des traits du grand caractère de son père. Il avait servi avec honneur contre les
chrétiens au siège de Constantinople. Devenu le chef de. la maison d’Ashem,
issu par sa mère d’un sang sacré, petit-fils de Mahomet, il voulut soutenir
ses droits à l'Empire, contre Ye zid, dont il méprisait les vices, et dont il
navait jamais reconnu le pouvoir. Une liste lui fut transmise secrètement,
de Cufa à Médine, des noms de 140,000 Musulmans fidèles à sa cause, et
qui n’attendaient que son arrivée sur les bords de l’Euphrate pour l’appuyer
par les armes. Malgré l’avis de ses plus sages amis, il résolut de se confier,
lui et sa famille, à un peuple perfide ; il quitta Médine, e t , suivi de quelques
femmes et de faibles enfants, il traversa le désert ; mais, en approchant des
frontières d’I rak , l’apparence solitaire ou hostile du pays l’alarmèrent, et il
soupçonna que le parti qui l’avait appelé l’avait trahi ou avait été détruit.
Ses craintes étaient justes : Obeidollah, le Gouverneur de Cufa, avait étouffé
les premières étincelles d’une révolte, et Ilosein, au milieu des plaines de
Kerbela, se trouva enveloppé d'un corps de 5,000 cavaliers qui lui coupèrent
le chemin de la ville et de la rivière.
«Il prit alors, avec une solennelle résignation, la résolution de mourir
glorieusement, sans chercher à éviter sa destinée. Il consola sa soeur Fatime,
qui déplorait amèrement la ruine et l’extinction de sa famille ; il pressa le
petit nombre des amis qu’il avait près de lui dé s’échapper par la fuite; mais
ils refusèrent unanimement de l’abandonner ou de lui survivre : alors il excita
leur courage par une prière fervente et la promesse du paradis. Le matin
du jour fatal, il monta à. cheval, tenant son épée d’une main et le Koran
de l’autre ; trente-deux hommes à cheval et quarante à pied se pressèrent autour
de lui, dévoués au noble martyre. Une tranchée profonde qu’ils avaient
creusée et remplie, suivant l’usage des Arabes, de bois enflammé, et quelques
tentes protégeaient les flancs et les derrières de cette petite troupe généreuse.
L ’ennemi ne s’avança contre eux qu’avec répugnance. Un des chefs
Cufiens déserta, suivi de trente des siens, qui vinrént se raDger autour d’Ho-
sein pour partager sa sainte et inévitable destinée; mais l’armée tout entière se
précipita sur cette poignée d’hommes. La résistance désespérée des Fatimites
fut terrible : corps à corps ils étaient invincibles, mais la multitude qui les
environnait de toute part; renonçant à un genre d’attaque où tant d’assaillants
trouvaient la mort , s’éloigna à quelque distance,: et de là , sans danger,
lança sur les Fatimites une grêle de flèches qui tuèrent successivement les
hommes et les chevaux : une trêve de quelques instants fut accordée des
deux parts à l’heure de la prière, et le combat recommença ensuite, et ne
cessa qu’avec la mort du dernier des compagnons d’Hosein. Seul survivant
encore au carnage, mais couvert de blessures et épuisé par la perte de son
sang, Hosein s’assit à l’entrée de sa tente ; comme il essayait de boire quelques
gouttes d’eau, un dard lui perça la bouche de part en part; son fils et son
neveu, deux enfants de la plus touchante beauté, furent tués dans ses bras.
Il éleva ses mains vers le ciel (elles étaient dégouttantes de sang), et il fit,
pour les vivants et pour les morts, une dernière prière. Transportée par le
désespoir, sa soeur s’échappa alors de la tente, et adjura le. chef des Cufiens
d’empêcher qu’on ne massacrât devant lui Hosein sans défense; une larme
tomba sur la barbe vénérable du vieux capitaine ; et les plus intrépides de ses