
petit peuple circule autour d’eux , et écoute les monotones élans de leur folie
religieuse. Ils vivent de ses charités, mais ils ne me semblent guère lui inspirer
d’autre sentiment que celui de la pitié et du respect superstitieux que les
basses classes en Europe portent souvent aux imbéciles, aux Crétins dans les
Alpes, par exemple.
Au sommet de ces Ghauts, derrière ces temples, s’élèvent de grandes maisons,
magnifiques selon le goût indien; quelques-unes ruinées, d’autres à
peine entretenues, d’autres enfin neuves ou habitées, avec leurs hautes terrasses
couvertes de fleurs. Le contraste des couleurs diverses dont le temps
les a peintes et la variété de leur construction donnent à leur ensemble une
apparence très - pittoresque : elles appartiennent à des princes hindous de
toutes les parties de l’Empire. Bénarès est la terre sainte des Hindous, comme
leur ville savante ; la science et la religion n’étant encore qu’une même chose
dans la théocratie qui continue de gouverner la société native de ces contrées.
Il y a des privilèges spirituels attachés à la résidence dans cette v ille , et c’est
le lieu de départ le plus favorable pour entreprendre le voyage de l’autre
monde. Bienheureux ceux qui meurent à Bénarès, ils vont droit en paradis!
Soit par dévotion, soit par respect pour la mode, tous les Rajahs de l’Inde
et beaucoup de riches grands seigneurs se faisaient bâtir une maison à Bénarès,
et tous les jours encore il s’y en bâtit de nouvelles pour quelques-uns d’entre
eux. Il est peu de ces demeures que leurs possesseurs aient habitées. Ce n ’est
pas là l’intention des Brahmanes qui les ont engagés à les élever; ils se soucient
fort peu que leur prince meure à Mysore ou à Bénarès, qu’il aille en
enfer ou en paradis ; mais il leur importe beaucoup à eux d’habiter une belle
et bonne maison; et comme il faut un chapelain, sinon des chapelains, à tout
château, ils demandent au prince, qui habite souvent à 4oo lieues de Bénarès,
et n’a pas la moindre idée d’y aller jamais, la permission d’y demeurer
en son absence. Puis, quand ils s’y sont établis, il se trouve qu’ils n’ont pas
de quoi vivre si le prince ne les aide pas : et sa dévotion se mesurant à l’opulence
dans laquelle il entretient ces saints personnages, sa, vanité d’ailleurs
étant intéressée, si Sa piété est médiocre, on extorque de lui une pension
souvent magnifique. Donner aux Brahmanes de Bénarès, est un acte aussi
pieux parmi les hautes classes dans l'Inde, qu’étaient jadis en Europe les
dons faits à l’Eglise. Un grand nombre de ses temples ont été bâtis par des
princes qui vivent à l’extrémité de l’Inde. On est jaloux d’être connu à Bénarès.
Sous les Musulmans qui régnaient à Dehli, sous les Chrétiens qui gouvernent
à Calcutta, Bénarès a toujours été et est encore la capitale de l’Inde.
C’est de la rive opposée du Gange qu’on voit le mieux les Ghauts de Bénarès.
Beaucoup d’Européens résident depuis 20 ans près des cantonnements,
qui, bien rarement, sont descendus à la ville, et n’ont jamais traversé la rivière
pour jouir de la beauté singubère de son aspect.
Au déclin du jour, importunés sur les Ghauts par la foule des passants et
des dévots, M. J. Prinsep me fit descendre dans une Yole construite à Londres,
et ramant sans effort pour pousser contre un courant à peine sensible une
embarcation si légère, il me mena à la distance la plus favorable à ma courte
vue. Un canot indien passa près de nous, plus court, plus étroit de moitié
que le nôtre, fait d’un tronc d'arbre creusé ; un pauvre diable de batelier le faisait
marcher avec lenteur, tandis qu’unFaquir, dont il n’avait que la bénédiction
à attendre pour salaire, prenait indolemment le plaisir d’une promenade sur
l’eau et chantait une antienne. Ces saints de carrefours, qui se sont fait un
nom, ont le privilège de taxer le petit peuple à leur fantaisie. Ils prennent
d’autorité et sans contestation ce que bon leur semble : un fruit, un légume,
du grain : ou bien ils entrent dans un bateau amarré aux © 7 Ghauts, et disent
tranquillement aux bateliers de les promener sur la rivière. Modérés dans leurs
exigences, ils n’éprouvent guère de refus. Un idiot, dans une petite ville d’Europe,
connu de tous les enfants, de toutes les petites gens, a le même privilège.
Il y a un sentiment général de bienveillance pour lui ; incapable de
se suffire, chacun le secourt et le regarde comme une charge publique de
la ville, la plus sainte de toutes..C’est, il me semble, ce que le peuple ici
témoigne pour les Faquirs de renom.
L e G a n g e . g L e Gange, devant les Ghauts de Bénarès, n’a pas moins de
i 5 mètres de profondeur dans les basses eaux; il n’est jamais limpide. Sa
largeur n’est que grande : c’est trop ou trop peu pour l’effet, pour plaire
par soi. C’est à Patna ou à Monghir qu’il faut voir ce fleuve en été, après
qu’il a reçu les eaux de la Sône et toutes celles du royaume d’Oude. L à ,
sa largeur est de 5 à 6 mil. ( 1 1 à 1 1 1. j , quoiqu’à plus de i 5o lieues de son
embouchure et descendant de 8 à 9 mil. ( 2 j à 2 5 1.) à l’heure. Le lit de
ce fleuve a changé plusieurs fois de position, dès la partie moyenne de son
cours. On conçoit aisément avec quelle puissance une si grande masse d eaux,
animée d’une telle vitesse, doit dégrader les alluvions incohérentes de ses
bords quand un chenal se forme dans son lit, qui n’est point parallèle a
ses rives. M. Prinsep du Gange ( l ’ingénieur militaire), dans son ouvrage