
plutôt pour moi que pour lui. Un vieux dévot du voisinage trouva mauvais
que lés sipahis, pour y abriter leurs fusils, y entrassent chaussés; ceux-ci
lui répondirent tranquillement qu’ils étaient Hindous. « Raison de p lu s, dit
lè vieux bavard, pour rester à la porte. » Ils l'envoyèrent au diable, et il
s ’en retourna là-dessus sans ajouter un mot.
Hindous et Musulmans sont généralement d’une extrême tolérance. A nous
autres, ils permettent à peu près toutes les profanations possibles de leurs
temples. Ce vieillard qui querella mes sipahis, me voyait déjeuner dans sa
mosquée ; il n’osa point me parler e t cependant j ’avais un mauvais habit sur
le dos ; mais ma peau blanche est une noblesse qui en impose extrêmement
aux natifs, et me vaut du moins la démonstration constante du respect.
Les Européens qui ont vécu plusieurs années dans des contrées habitées
par des races colorées, se font une habitude de cet avantage, et certainement
c'est elle surtout qui y retient, en dépit de la mauvaise fortune, de l’insalubrité
du climat, du manque de société, ceux-là qui y ont à souffrir de tous ces
maux. J’ai vu cela à Haïti, où les blancs ne sont pas même admis sur un pied
d’égalité civile. A plus forte raison ce sentiment doit-il prévaloir là où nous
dominons par le pouvoir et la richesse sur des races colorées. Les Colons
d’origine hollandaise au Cap m’ont paru jouir du sentiment de leur supériorité
en face des Africains libres ou esclaves. Il est manifestement exprimé
par les Créoles blancs de Bourbon. Au Brésil, il paraît plus faible,
et il y a raison pour cela : les Blancs sont, si bruns ! Les gens de couleur
sont si nombreux, et il y en a tant d’armés ! Il y a entre eux, et ceux qui
s’appellent les Blancs, si peu de différence, souvent, en courage, en instruction
, en moralité, en richesse, en tout ce que les hommes enfin respectent
secrètement !
Les Anglais qui inspirent tant de respect aux natifs de l’Inde, par leur pouvoir
, leur force, leur richesse et leur moralité, il faut le dire, (fidèles à leur
parole toujours, probes, équitables, 99 fois sur 100), qui leur apparaissent
comme une nation de princes, et qui reçoivent d’eux tant de démonstrations
asiatiquement serviles de respect et de soumission, les Anglais sont
le seul peuple européen qui ne jouisse pas de ces égards. Ils s’estiment trop, ils
méprisent trop les races colorées, pour être flattés de leurs hommages. Leur
politique s’en applaudit, mais jamais dans la sincérité de leur coeur l’orgueil
chez eux ne s’en fait un besoin. Les petits bourgeois français de Chander-
nagor et de Pondichéry trouvent au contraire commode et agréable d’être
les premiers de leur endroit. Ils s’attachent à l’Inde par ce sentiment, que
l’excessif orgueil dés Anglais peut seul éloigner d?eux. Un Français, parmi
les Indiens, dit : Je suis le premier. Un Anglais, mille fois plus riche et
plus puissant, dit : J e suis seul.
On dit toujours qu’une femme accomplit bien plus facilement, au profit
du bonheur commun, les devoirs du mariage, quand elle est pénétrée du
sentiment de la supériorité de son mari. Quel crime en effet y a-t-il à tromper
un sot? et il est certain, malgré les accidents du genre matrimonial
qui arrivent à mille maris, gens d’esprit, il est certain que les sots son t,
sinon plus souvent, du moins plus tôt sacrifiés. Coùséquemment à ce principe
, les unions formées par les Blancs avec des femmes de couleur doivent
être plus heureuses, la femme alors respectant son mari de nécessité, le
regardant comme un être d’une nature supérieure à elle. C’est ce qui arrive
à Haïti dans le concubinage sans terme où vivent les Blancs avec les Mulâtresses.
Ils sont généralement fort aimés de leurs femmes, ce qui est doux;
respectés d’elles d’une manière flatteuse pour leur orgueil, ce qui est agréable ;
et rarement trompés, ce qui est la grande fin de la morale sur ce sujet.
Dans l’Inde, au contraire, on dit que les femmes de couleur (Half-Cast)
ont aussi peu de v er tu , que les hommes de probité.
Il ne manque pas d’officiers qui en épousent, les unes à, cause de leurs
agréments, d’autres pour leur argent, et l’on dit qu’ils s’en trouvent plus
mal. Mais il faut observer q u e , par une alliance semblable, un officier se
fait toujours beaucoup de tort dans l’opinion européenne.; c’est à un homme
un peu déconsidéré que la femme se trouve unie. Elle se montre moins reconnaissante
du sacrifice qu’il a fait pour e lle , que piquée de la supériorité
qu’il garde sur e ile , dit-on. A Chandernagor, ces mariages ne sont pas rares,
et j ’ai entendu dire qu’ils étaient particulièrement heureux. C’est probablement
que nous sommes plus bonnes gens que les Anglais. Leurs femmes
Half-Cast peuvent prendre pour du mépris et de l’éïoignement la réserve
«qu’ils témoigneraient pareillement à une Anglaise, et qui leur est naturelle.
Plus affectueux , plus familiers dans notre intérieur, les Indiennes ne peuvent
faire avec nous cette méprise.
Malgré le blâme du plus grand nombre, un officier d e 'l’armée indienne
peut introduire partout sa femme, quelle «que soit sa couleur, si son honnêteté
n’est pas contestée. J’ai vu plusieurs fois, chez le Gouverneur général
, celle du colonel Casement, secrétaire cli'.tat pour les affaires de la guerre.
La fille du colonel'Stevenson, payeur général de l’armée, est née d’une mère
Half-Cast: C’est' une des* plus jolies personnes de1 Calcutta, et je l’ai vue
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