
lieu de riches vallées élargies en plaines, s’é lè v en tcom m e des lies au-
dessus de la mer, des collines couvertes de bois. Nul palmier ne se trouvait
là pour éloigner ce souvenir.
Mais lillusion ne fut pas longue. J’avais dépassé le villag e , e t ,. suivi de
tout mon monde, je marchais lentement au pas de mon cheval, contournant
la montagne, lorsqu’un de mes gens me montra dans de grands arbres, près
du sentier, un Singe de forte taille qui courait sur les branches et sautait
de l’une à l’autre avec une incroyable agilité. M’étant approché, une
dizaine d autres parurent aussitôt, dun air à moitié effrayé et à moitié menaçant.
J’avoue que la grandeur, le nombre et la force de ces animaux, les
premiers de leur classe que j ’eusse jamais vus sauvages, ne m’eussent pas
laissé dormir tranquille sous l’arbre qu’ils agitaient avec fureur. J’appelai
l’homme qui portait ma carabine. A cet ordre de Bondoukh lâo.( apportez mon
fusil) , quelques-uns de mes gens, Hindous de religion, parurent fort consternes.
Le palefrenier, dun air suppliant, me dit qu’il ne fallait pas.tuer ces
bêtes-là, que c’étaient des dieux. Un des sipàhis me fit) avec la plus grande
politesse, la même observation; et le sergent, qui est un Brahmane, ajouta
son mot. Je lui dis qu’il avait parfaitement raison pour lui; qu’il aurait le plus
grand tort de tuer un singe., si cet animal est.un des dieux de sa caste; mais
que les gens de la mienne) ainsi que les Musulmans, mangeaient les dieux
de la sienne, les boeufs, et tuaient les singes comme des chiens. Il parut
assez satisfait, et mon explication, débitée d’un ton doctoral et impératif, ayant
ferme la bquche à tout le monde, j envoyai une balle à un de ces dieux q u i,
du faîte de l'arbre, tomba par terre incontinent. Ceci mit fin à tous propos.
J avais dans mes mains la mort de deux autres; et quand mes gens eussent eu
pour leurs dieux à longues queues un amour plus véhément, ce coup de
fusil eût, je n en doute pas, bien refroidi leur argumentation. Les deux balles
dont je pouvais disposer à l’instant, donnaient à ma logique une puissance
à laquelle il fallait se soumettre.
Les Musulmans de ma petite bande se montrèrent fort tolérants; ils ne
se moquèrent pas du dieu mort : ce fut même un Hindou qui me l’alla
chercher et me l’apporta, Je traînant sur l’herbe par la queue, avec la plus
parfaite indifférence.
C était un mâle qui me pamt de la plus grande taille parmi tous ceux qui
se montraient sur l’arbre.
Longueur, du museau à la naissance de la queue, o“,8; de la queue, i ” , î ;
du museau à 1 extrémité des mains de derrière, i" ,3. Le corps est couvert
d'un poil "assez long, roide, brillant, d’un fauve clair; les bras,*les jambe»
et la qpeue d’un fauve grisâtre; les pattes d’un poil noir; la face-est noire,
presque nue , ainsi que les oreilles ; de grands sourcils noirs s’avancent au-
dessus de» yeux. Le menton, les joues et le sommet du front très-garnis du
même poil fauve qui couvre le corps. Les fesses, calleuses; leur peau nue
est brunâtre. Les canines extrêmement» fortes. L ’animal entier ne pèse pas
moins de i 5 kilogrammes.
Embourbé, comme je le suis, avec des boeufs écorché!?, dans des routes détestables;
obligé de surveiller moi-même, de suivre les. mouvements de ma
caravane pour les hâter, impossible de cnnscrvrrla dépouille de mon Singe.
•Après uqe courte autopsie, il me faut l’abandonner.
Le singe est sacré pour les Hindous, et immonde pour les Musulmans; aucune
caste n’en mange la chair par des motifs opposés. ■
Je m’étais remis en marche avec tout mon monde, flattant les uns, encourageant
les autres,,grondant, menaçant quelquefois, tout cela pour coucher
un cosse (5 1. ) plus loin le ' soie, quand ¡’entendis grande rumeur à l’arrière-
garde. Je m’y> portai au galop, et pris sur le fait une querelle religjeuse
prête à finir par la, controverse des Coups de poing. Le cuisinier, à qui j ’avais
demandé pourquoi le Saïsse, qui est Hindpu, s’emparait des oiseaux que
je tuais roidesmorts, et qu’aucun autre de mes gens ne pouvait manger, m’avait
répondu qu’il était de très-basse Caste, Tchamâr j-u- (la caste d’oû sortent
tpus 1rs cordonniers et ouvriers qui travaillent les peaux), et que lesTchamârs
mangfehient à peu près de tout sans scrupule ; et le Saïsse, qui prétend n’être
pas Tchamâr, mais Khori (notre basse caste), sê disait horriblement
insulté. L ’épithète de Tchamâr était l’injure la plus ignominieuse pour lui.
Or, mon Sergent Brahmane, que jg consulte à ce sujet, m’assure que .pour
être différents de nom ou de profession, en fait de bassesse, Tchamâr et
Khôri,^ont tout un. Mais le palefrenier fait la plus grande différence ; il se
vante d’fjre Khôri, comme un autre se vanterait d’être Brahmane. Je défendis
qu’à 1 avenir on parlât dé1 castes, et proclamai que Brahmanes, Tchamârs,
Khôris, Behras et Musulmans étaient pour moi la même chose, et que je
ne distinguais que des honnêtes gens et de méchantes gens.
C’est un chaos que cette multitude de castes. A l’exception d’un très-petit
nombre qui portent le même nom dans les idiomes particuliers des diverses
parties de l’Inde, la synonymie des âütres est souvent impossible à faire d’une
province ou d’un langage à un autre. Puis, dans chaque province, dans chaque
langue, il s’en faut qu’il existe une classification de préséances universellement
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