
pus, s’échappent; ils vont à la course dans les habitations du voisinage,
quelquefois à plusieurs lieues, trouver leurs femmes, coucher avec elles.
Le matin, au son de la cloche, ils^sont de retour : ils n’ont pas dormi.
Les châtiments corporels s’administrent moins fréquemment aux Esclaves,
depuis quelques annéès. On a reconnu que la prison pendant la nuit, était la
plus dure de toutes les punitions. Dans les Quartiers, c’est la même chose. Ce
peuple, surveillé dans le jour par ses maîtres, ressaisit sa liberté pendant leur
sommeil, quand vient la nuit : alors il s appartient à lui-même, et il se livre à
ses plaisirs. Il faut qu ils soient bien vifs pour lui faire oublier les fatigues du
jour. Il y a des exemples incroyables en ce genre : il y a des Noirs qui ont fait,
toutes les nuits pendant une année, douze lieues de montagne pour voir
leurs femmes. Le matin, sur 1 habitation, ils étaient toujours les premiers à
l’ouvrage.
A cheval ou en voiture légère, les Blancs, en voyage, ne font pas moins de
deux lieues ~à 1 heure. Us sont toujours accompagnés d’un Esclave qui court
derrière eux : un enfant de 10 ans fait ce métier. Il court pendant 4 heures.
Les Mulâtres ont, comme les Nègres de race pure, cette faculté. Us ne s’essoufflent
pas; à peine transpirent-ils. Quelle force et quel endurcissement !
Il y a extrêmement peu d Esclaves qui sachent lire et écrire' : ce ne peut
être que les frères de lait des jeunes maîtres, dans les familles extrêmement
humaines, ou des ouvriers.
Devant un étranger qui se tait sur la question.de l’Esclavage, on ne manque
pas, à Bourbon, de mettre en avant la stupidité des Noirs, des Cafres
surtout, et den faire une race vouée, par la nature, même, par son infériorité,
à 1 esclavage. Cependant les Créoles, nés de père et de mère Cafres, ont
la finesse des autres. Ce qui est v ra i, c’est que de tous les Noirs importés
dans la Colonie, les Cafres sont les plus stupides; mais les enfants de ces
malheureux, nés, élevés dans un pays civilisé, montrent déjà bien plus d’intelligence
dès la première génération.
L.Esclave, à Bourbon, est ce qu’il doit être partout, menteur, voleur,
destructeur et paresseux. Il se regarde devant son maître comme dans un
état perpétuel de prévention; il se croit toujours soupçonné, et, pour peu
qu on lui parle, accusé. Il semble prendre plaisir à défigurer la vérité la plus
indifférente; mais il ne ment ainsi que pour pouvoir se dédire, si la première
déposition est mal accueillie. La vérité est une dernière ressource qu’il
se ménage, et dont il use le moins qu’il peut : il la réserve pour les cas
extrêmes.
Il vole avec une adresse merveilleuse, et profite peu de ses larcins. Le
recéleur chez lequel il est obligé de porter aussitôt ce qu’il a volé, parce
qu’il ne saurait où le cacher, lui fait la loi. Il vole ainsi pour 5o fr. de sucre
ou de café à son maître, afin de recevoir pour quelques sous de poisson
salé. Les malheureux se volent aussi entre eux. Ceux qui possèdent un vêtement;
un mouchoir, une marmite, sont dévalisés quelquefois par leurs camarades.
Le plaisir de la destruction est naturel, assurément, chez ceux auxquels la
jouissance est interdite. L’Esclave qui peut, sans crainte d’être vu, briser des
Cannes ou des Cafiers, jouit du plaisir de la vengeance. Il fait tort à son
maître. C’est la seule manière dont il puisse l’atteindre, sans se faire tort à
lui-même.
On ne! peut le faire travailler à la tâche : il ne ferait rien; ou du moins
rien de bon. Il faut toujours être là, près de lui, pour le surveiller, le diriger,
le menacer. Il y en a , il est vrai (ce sont des Cafres presque tous, et c’est
pourquoi on préfère cette race pour les travaux de la culture), qui, satisfaits
de la ration assez copieuse d’aliments qui leur est donnée trois fois le jour,
et peut-être abrutis un peu par Varack qu’on leur distribue extraordinairement
dans la saison la plus active des travaux, s’y livrent, comme des automates,
sans arrière-pensée. Ceux-là consomment de bonne foi toutes leurs forces au
profit de leurs maîtres, sans s’intéresser à ce qu’ils font : ils le font bien,
parce qu’ils le font comme on leur a dit de le faire, sans épargner leur peine.
Mais aussi, il y en a beaucoup dont la vie n’est qu’une longue gageure, une
résistance. couverte e t colorée des dehors de l’obéissance la plus empressée
aux ordres de leur maître. Lorsqu’aux champs, l’Esclave peut poser sa pioche
quelques instants, ce n’est pas de son inactivité, de son repos q u il jouit,
c’est du démenti muet qu’il donne à son maître, c’est du fruit défendu.
La plus légère désobéissance ouverte, le moindre signe de mauvaise volonté,
sont sévèrement châtiés. Trente coups de fouet sont le plus dur châtiment que
les règlements coloniaux de Bourbon permettent aux maîtres d infliger à leurs
Esclaves. Il est censé qu’une légère condamnation, prononcée discrétionnai-
rement par le procureur du ro i, est exigée pour outre-passer ce nombre. Il
n’y a pas de maître, cependant, qui ne fasse donner cent coups à son Esclave,
pour une faute grave, sans en demander la permission à personne. Ceux que
l’on cite comme durs, prodiguent cette peine. Au reste, il est juste de dire que
l’humanité relative est très-considérée chez les Blancs. Il y a des maîtres
sévères; on les blâme généralement : s’il y en avait de cruels, on les haïrait.
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