
trouver quelque poésie. Le siège de l’observateur n’en était pas lui-même
dépourvu, car il frétait pas sans danger. Il ne reste plus rien du brick Volant
aujourd’hui; il a péri avec les hommes hardis que j’y ai connus. Ce qui
m’étonne seulement, c’est de n’avoir pas été témoin et victime de ce malheur.
Nonobstant les vents d’ouest que nous rencontrâmes fréquemment dès les
premiers jours de notre navigation, nous nous écartâmes fort peu de la ligne
que nous eussions suivie si les vents nous eussent été favorables. C’est l’avantage
des bâtiments de guerre; ils virent vingt fois le jour, tandis qu’un
bâtiment de commerce est obligé de courir de longues bordées. Il écraserait
son faible équipage, s’il en voulait changer plus souvent.
La route que nous fîmes, gouvernant un peu à l’est de Madère, esta peu
près celle des bâtiments qui vont directement au Brésil. Us cherchent généralement
à reconnaître cette île en passant, afin de diminuer d’autant les
erreurs qu’ils peuvent avoir faites dans l’estime de leur longitude.
Dès que nous eûmes atteint le travers de Cadix, nous trouvâmes des
courants qui nous portèrent faiblement dans le S.-E. ; nous descendions au
sud sous le 18e degré de longitude.
L’aiguille aimantée, dont la déclinaison à Brest (latit. bor. 48°23', long. occ.
6°4 9 ') était de 25° au N.-O., s’était constamment rapprochée du nord, dans
un rapport assez exact avec le chemin que nous faisions dans l’ouest.
La mer, à mesure que nous nous étions éloignés des côtes de France,
avait pris peu à peu une couleur bleue plus pure et plus foncée. Sa phosphorescence
dans la nuit avait augmenté : quelques brillants zoophytes s’étaient
montrés à sa surface. Des Requins, un Marteau, des Marsouins, des Dorades,
des Poissons volants et des Alcyons contre lesquels chacun avait cherché à
faire preuve d’adresse, et non tous sans succès, avaient composé toute la faune
apparente de nos eaux. On prit un Marsouin adulte, que l’équipage mangea.
La chair en est excessivement brune et gorgée de sang, fade, pâteuse. C’est un
manger détestable. Un petit Requin qui se prit à la ligne quelques jours après,
nous permit de faire une comparaison qui fut tout-à-fait à son avantage. Sa
chair n’avait aucun goût huileux, et elle n’était que médiocrement sèche. La
Dorade n’est pas meilleure. Pas une seule plante de Fucus natans ne flotta
autour de nous.
Le 11 septembre, à cinq heures du matin, nous aperçûmes dans l’ouest la
grande île Salvage. Ce n’est qu’un îlot inhabité et assez bas, situé à peu près à
égale distance de Madère et de Ténériffe. Notre longitude, que nous déterminâmes
à midi par le relèvement de l’île et par la latitude observée, se trouva
de 170 59' : notre chronomètre indiquait seulement 179 La longitude
estimée de notre départ de Brest était de i°6' de plus à l’ouest. Cette différence
était due à la direction générale des courants qui nous avait fait dériver
dans l’est.
Le lendemain matin, 12 septembre, par un beau temps, nous aperçûmes la
pointe orientale de Ténériffe. Nous en étions à près de vingt lieues. Peu à peu
les contours de l’île se dessinèrent avec netteté. Le Pic seul resta caché dans les
nuages jusqu’au soir. Cependant quelques rayons du soleil couchant éclairèrent
un instant sa cime à une immense hauteur au-dessus de l’horizon ; ses pentes
étaient déjà ensevelies dans l’obscurité du soir. Cette scène pittoresque ne
dura qu’un moment. Nous découvrîmes en même temps dans l’ouest l’île de
Palma : elle n'était pas à moins de vingt-six lieues. Nous louvoyâmes toute la
nuit à l’entrée du canal qui sépare Ténériffe de la grande Canarie. Le i 3
nous reprîmes notre route, et à dix heures du matin nous étions mouillés
devant Sainte-Croix.
Ténériffe s’élève de toutes parts abruptement du sein de la mer. Cette île ne
semble avoir de plages que l’embouchure élargie de quelques torrents, à sec
presque toute l’année. Son aspect est rougeâtre, et d’une affreuse aridité. L’oeil
y cherche en vain quelque verdure pour se reposer. Ses mornes brûlés
s!entassent les uns sur les autres d’une manière étrange et bizarre. Je n’y
trouve aucune ligne pure ou noble; leurs formes ne sont qu’invraisém-
blables.
Sainte-Croix (1) n’a point de port. On y mouille dans une rade assez peu
sûre : une petite jetée abrite de la houle un débarcadère qui, malgré cela, est
fort incommode. L’apparence de la ville est assez jolie, vue de la mer. Les
meilleures maisons se montrent, au reste, sur le premier plan, et cachent
bien des masures. Deux ou trois dattiers et autant de clochers d’assez bonne
apparence s’élèvent au-dessus de tout cela. La couleur blanche des maisons
donne à la ville un air de gaîté et de propreté. Quelques champs sans verdure
s étendent derrière, entre elle et le pied des montagnes, dont on voit trois plans
distincts s’élever successivement les uns derrière les autres jusqu’aux hases
du Pic.
Je n avais jamais vu de province de la domination espagnole : aussi tout fut
nouveau pour moi quand je descendis à terre. Le peuple dans les rues est vêtu
de haillons malpropres, mais l’arrangement en est pittoresque. Il est abîmé de
(l) Temp. moyenne, 210 8. De Buch in Humboldt. Relat. hist., t. IV, pag. 331.