
Il faut maintenant s'enfoncer à plus de i oo lieues dans l’intérieur des terres
pour rencontrer ces animaux dans l’état sauvage. Quelque rares que soient les
habitants de cette vaste colonie, l'homme, avec les arts de l’Europe, est si terrible,
qu’il les a détruits partout où il s’est établi. On ne trouve plus au-dedans
de ses établissements que les faibles restes de quelques races innocentes, comme
les Antilopes, ou trop faibles pour être dangereuses, comme le Léopard, qui se
chasse encore aujourd’hui à quelques lieues de la ville du Cap. Il est moins
hardi que le Loup en Europe. Lavant-garde des colons sur la frontière du nord,
est, m’a-t-on dit, un peuple chasseur et aventureux qui nettoie le terrain de ces
animaux redoutables, qui trafique de leurs dépouilles, et qui vit du gibier abondant
qui servait à leur subsistance. Ces gens-là aussi sont les facteurs du misérable
commerce qui se fait avec les tribus indépendantes des Cafres. Les Cafres
leur vendent de l’ivoire, des peaux, et des plumes d’autruche.
Les bestiaux sont très-abondants au Cap et dans toute l’étendue de la colonie.
On attelle 16 Boeufs à un char pour amener à la ville ce qui ferait à
peine en Europe la charge d’un Cheval. Il est vrai que, si les rues de la ville
et ses avenues sont macadamisées, à peu de distance, dit-on, les routes sont
horribles ; elles montent sur des collines très-roides et s’enfoncent dans des
fondrières. Les Boeufs sont de pelage varié, détaillé moyenne; leurs cornes
sont fort grandes.
Les Moutons sont également communs. Ils proviennent de la race de Barbarie
à grosse queue, laquelle, peut-être, est répandue dans toute l'Afrique :
je l’ignore. Cette queue énorme, formée de tissu cellulaire adipeux, garnit
les fesses de l’animal, cache entre ses cuisses sa plus grande épaisseur, et ne
parait pas monstrueuse si on ne la relève pas. Elle gêne le Mouton pour
courir, par le poids dont elle charge sa croupe. Au reste , elle ne pèse pas
plus de 2M°g ,00 à 2“ °5 ,5o.
Les Moutons du Cap sont de taille moyenne, ou même grands; ceux què
l’on dit être de la race africaine la plus pure, sont couverts d’un jarre court,
droit et grossier, aussi peu mêlé de laine que le poil des chèvres l’est de
duvet. Ce jarre est blanc, opaque ; chacun de ses poils est aplati : le peu de
laine dont il est mélangé est d’une grande finesse; mais la plupart des troupeaux
sont de sang mêlé avec des Béliers espagnols. Ce croisement a, suivant
ses degrés divers, fait disparaître de la toison une proportion plus ou moins
forte de jarre, et affiné ce qu’il n’a pu en exclure ; mais en devenant plus
longs et beaucoup plus fins, les poils du jarre sont toujours restés opaques
et plats, parmi les filaments transparents, ronds et sinueux de la laine assez
belle qu ils salissent. Je présume que de telles laines sont sans valeur. Le
croisement avec les Mérinos, qui a tant changé la nature de la toison de la
race africaine, n’a eu absolument aucune influence sur leur queue : il n’y a
point de différence entre celle des Métis et celle des animaux les plus purs.
Un Mouton, au Cap, se vend une piastre et demie (environ 8 fr. ) ; un Boeuf,
douze ou quinze piastres (60 à y5 fr.j^La belle viande de boucherie coûte deux
pence la livre (environ of, 2p|f|on en a six pour un schelling (i',a4 ). Les
Chevaux, sans être, relativement aux prix français, à si bon marché, coûtent
néanmoins beaucoup moins cher qu’en France. Il n’y en a point de races
lourdes. Je n’ai point vu d’Anes; cependant il y a des Mulets. Je ne sache pas
qu’on ait croisé le Cheval avec le Zèbre. Ce dernier, au reste, est rare et cher.
J’en ai vu un qu’on voulait vendre 5oo piastres ( 2,5oo fr.). Quoique les
Zèbres soient excessivement capricieux, il y a dans la ville des cavaliers hotten-
tots qui les domptent en un jour. Leur vitesse est médiocre, et ils ne sont pas
tellement infatigables que leur force puisse compenser le peu d’élégance de
leurs formes et la bizarrerie peu agréable de leur pelage. Ils ne sont qu’un objet
de curiosité assez rare, et que l’on cherche à vendre en Europe,
Il est à remarquer que les Cafres, du pays desquels on les tire, n’ont pas eu
l’instinct d’asservir cet animal et de monter dessus. Quoi de plus utile cependant,
quoi de plus séduisant pour un sauvage, qui vit de chasse et de rapine,
que la possession d’une monture qui va trois ou quatre fois plus vite que lui !
Que de supériorité ne lui donnerait-elle pas! Ce n’est que des Européens que
les Hottentots ont appris l’art de monter à cheval. Us sont devenus d’une adresse
extreme dans cet exercice. Les proportions de leur corps, leur organisation
physique les y rendent très-propres; mais leur intelligence n’avait pas suffi à
leur faire concevoir la possibilité de courir,-sur le dos d’une bête assez grande
pour porter l’homme, beaucoup plus vite que lui, et de la conduire à volonté.
La Zélée quitta Table-Bay le 3o décembre. Le 1 " janvier 1829, nous doublâmes
le Cap de Bonne-Espérance. Le vent soufflait avec force de l’O . S . O. ; la
mer était fort grosse ; le ciel gris et pluvieux. C’était du mauvais temps. Il est
de coutume devant le Cap des Tempêtes. Cela d’ailleurs ne lui est pas particulier
: le Cap Finisterre, sur les côtes européennes de l’Atlantique, le Cap Hat-
teras, dans la Caroline, sont aussi le théâtre accoutumé des brumes et des bourrasques,
parce qu ils sont le lieu de rencontre de vents opposés.
Les vents debout nous retardèrent bientôt et nous firent naviguer pendant
3 jours en vue de terre sur le Banc des Aiguilles. Le 3 janvier, un bâtiment
, dont l’éloignement nous empêchait de distinguer le rang, navigua der