
glais passe comme un étourdi sans y plus songer. Puis, si une jeune femme
est sur son chemin, il lui sourira ou dira bonjour galamment, comme il
ferait à une jeune fille de sa classe en Angleterre. Il va ainsi, froissant les
séntiments du peuple auquel il est mêlé, sans trop s’en douter, et s’il s’en doute,
sans s’en inquiéter. Des soldats français seraient encore plus antipathiques à ce
peuple grave et composé.
Je trouvai si peu curieux, je l’avoue, les temples hindous où M. Thoresby
me fit entrer, que je ne pris pas la peine d écrire leurs noms. Ils sont tous petits,
dégoûtants des offrandes de riz et de fleurs d’oeillets-d’Inde que lés dévots
font à certaines petites pierres sculptées grossièremént, et qui tombent éparses
sur l’aire mouillée sans cessé de l’eau du Gange. Quelques taureaux, et des
vaches aussi (car j'en ai vu s’accoupler à la face du dieu), errent dans l’intérieur
et dans les allées étroites qui y conduisent, léchant les'dieux pour attraper
les grains de riz qui restent collés sur leur face humide, et ramassant
les offrandes tombées à terre. Partout, dans une niche voisine du sanctuaire,
une demi-douzaine de Brahmanes qu’on ne voit pas, font un épouvantable tapage
de trompettes, de tambours et de tam-tam. C’est hideux.
L ’Observatoire n’est plus qu’une ruine. A l’époque où les Anglais s’emparèrent
de Bénarès, la mince valeur du métal des instruments qui s’y trouvaient,
le fit piller par les natifs; et, depuis ce temps, sans usage, le bâtiment
a cessé d’être entretenu. Il reste un grand cercle horizontal et gradué
pour l’observation du passage des astres au méridien; mais c’est un ouvrage
de maçonnerie, on dirait le bord d’un bassin circulaire. On voit, dans la
muraille, la place' où étaient scellés des instruments de fer et de bronze qui
ont été enlevés. Ils étaient tous de très-giandes dimensions, circonstance nécessaire
pour compenser la grossièreté de leur graduation.
Avec de pareils instruments et leurs mauvaises méthodes de calcul, les
astronomes indiens parvenaient jadis à prédire approximativement les éclipses.
La tradition de ce savoir est entièrement perdue.
Au reste, les ruines de l’Observatoire sont très-modernes. C’est, je crois,
sous le règne d’Aurengzeb qu’il fut élevé. Sans doute il y en avait un autre
auparavant, mais on n’en connaît pas les restes.
Dans les rues les plus vivantes de la ville, on voit souvent, entre deux
immenses maisons habitées jusque sur les terrasses, un emplacement vide ,
couvert de décombres; ailleurs, c’est une masure encore debout, mais inhabitable,
et qui menace d’écraser les passants de sa chute. Toutes ces ruines
sont des propriétés du Rajah de Bénarès.
Sous le Gouvernement mogol, le Rajah de Bénarès n’était que le Gouverneur
héréditaire de la ville et du territoire d’alentour. Il redevint souverain à la
chute de l’Empire, sous Schah Alem Padischah. M. Ilastings, alors Gouverneur
général, fit avec lui un traité d’alliance par lequel il s’engageait à protéger
son territoire contre les attaques du dehors. Quelque temps après, à
l’époque de l’insurrection américaine, la France ayant déclaré la guerre à l ’Angleterre,
des croiseurs français parurent dans les mers de l’Inde, et enlevèrent
plusieurs bâtiments de la Compagnie. M. Hastings, sur-le-champ,
écrivit au Rajah de Bénarès que les Français menaçaient l’Inde de nouveau,
et réclama de lui un subside pour payer sa part des armements qu’il préparait,
contre eux. Le prince se récria sur l’extrême sécurité où quelques croiseurs
français laissaient ses Etats situés au milieu de l’Inde. Il dit qu’il ne se
trouvait aucunement menacé à Bénarès par leurs démonstrations à la mer;
et que c’était dans la pensée des Mahrattes, et autres ennemis de l ’intérieur
seùlement, qu’il avait souscrit précédemment le traité de M. Hastings. Celui-ci
insista, prétendit que le Rajah était solidaire de là Compagnie; que, défendu
par elle, quoiqu’il contestât la présence d’un danger et le besoin de secours,
il devait contribuer à la dépense pour la défense commune. Le Rajah refusant
de payer, M. Hastings envahit son territoire, et l’annexa entièrement à
ceux de la Compagnie. Le Rajah de Bénarès n’a plus, depuis ce temps (une
cinquantaine d’années environ ) , qu’un vain titre ; mais il a conservé plusieurs
lacks de revenu. Le titulaire actuel est un jeune homme d’une taille et d’une
corpulence monstrueuses, fort bête, d’ailleurs, dit-on; il habite à Ramnagur,
sur la rive droite du Gange , à 6 mil. ( i j 1.) de Bénarès. Son état civil est
incertain. Il ne voit pas d’Européens.
Un vieux palanquin délabré.passa près de nous, entouré d’une douzaine
de gueux déguenillés qui portaient des hallebardes et des masses d’argent;
c’était le frère du Rajah. La suite du prince lui-même, dans le voyage qu’il
fit d’an passé à Calcutta, n’était pas plus magnifique, mais elle était plus
nombreuse; il avait 3,ooo serviteurs. ;
Derrière les fenêtres de quelques maisons, dans’ plusieurs rues, je vis des
femmes qui regardaient les passants :, c’est le seul étalage qui soit permis
aux filles publiques. Aucune n’était jolie. Ce n’est que la plus basse espèce
qui se montre ainsi; les- autres se laissent à peine entrevoir par intervalles
derrière une natte claire de bambou qui pend à leurs fenêtres.
Des gens qui ont un harem bien meublé, s’ennuient souvent de leurs femmes,
et s’amourachent de celles de tout le monde. Il n’est pas rare que les filles
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