
dessus ; le son n’en est pas séparé. C’est là ce qu’il appelle son pain, Râuti
Malgré ce misérable régime, la population est assez belle.
Bandah a 4000 ou 5ooo habitants peut-être, sinon plus, qui vivent dans
des maisons de boue. Ce lieu a l’apparence d’un très-grand village plutôt
que d’une ville; il n’a point de forteresse. Un régiment presque entier y
tient garnison, et de plus un bataillon provincial. Il y a un Collecteur, un
Magistrat, e tc ., etc. J’avais une lettre pour l’assistant du premier; mais, récemment
promu, il n’avait pas encore joint la station. Remise en son absence
au Collecteur même, par la méprise d’un domestique, celui-ci me dépêche
une carte de visite, et, sortant de sa maison, vient au-devant de moi pour
m’engager à y demeurer. On n’est pas plus hospitalier.
M. Begbie, cet homme obligeant, me propose, immédiatement après déjeuner,
une tournée'de visites aux membres principaux de là station, en commençant
par le Nawâb. Celle-ci fut seule intéressante. D’ailleurs, je vis un
jeune Magistrat, à peine échappé du collège de Fort-William, qui comprend
assurément fort peu le langage de ceux qu’il juge. Des gens de la campagne
venaient de lui apporter des pièces d’argent qu’ils avaient trouvées en fouillant
un champ. C’étaient des roupies frappées au nom d’Akbar, Djéhanguire
et Sehahdjéhan, assez semblables à celles que l’on bat aujourd’hui, et fort
bien conservées. Leur âge (deux siècles) en fait ici une antiquité.
Le Nawâb est un homme d’une haute naissance, fils de Bahadour-Nawâb,
un des princes les plus puissants de l’Inde centrale, tombé, il y a ans, à
l’invasion des Anglais. La Compagnie s’engagea alors à lui faire, et à l’héritier
de son titre, par primogéniture, une pension perpétuelle de quatre lacks,
un million de francs. M. Begbie envoya, pendant le déjeuner, un domestique
porteur d’un salut verbal, lui dire qu’il désirait lui présenter un étranger, et
lui demander s’il nous pourrait recevoir. Le serviteur revint avec les salams
du Nawâb qui nous attendait. Sans toilette aucune, M. Begbie en redingote,
nous montâmes en cabriolet et nous^ rendîmes chez lui. Sa maison, assez
voisine, grande et neuve, solidement bâtie et bien entretenue au dehors,
est du plus mauvais goût. Elle paraît à moitié indienne, à moitié européenne.
Une garde nombreuse de sipahis d’assez bonne mine, qui en occupe l’entrée,
nous fit le salut militaire. Le Nawâb, venant au-devant de nous au bruit de
notre arrivée, se trouva à la porte du vestibule quand nous descendîmes de
voiture, et nous salua, M. Begbie d’abord et moi après, à la manière anglaise,
d’un rude serrement de main. Il était venu au D ' milieu d’un flot de
domestiques assez bien vêtus, portant des hallebardes d’honneur et des masses
d’argent. Ces gens restèrent dans l’antichambre, et nous passâmes dans un
immense salon adjacent, où le prince s’assit au bout d une longue table en
acajou, M. Begbie et moi à ses côtés, et quelques natifs hindous et musulmans,
tous de honne mine, au-dessous. Le Rajah est un jeune homme
de a5 à 3o ans, très-grand, déjà chargé d’embonpoint, d’une physionomie
douce, agréable et heureuse. Il était vêtu d’une très-longue redingote d’étoffe
d’or et de soie, boutonnée, serrée sur la poitrine par de riches brandebourgs.
Ses longs cheveux noirs bouclés tombaient presque sur ses épaules.
Il n’avait sur la tête qu’une calotte de soie richement brodée. Un domestique
se tenait derrière lui avec un éventail à la main, et un autre près du houka
que le Nawâb fumait en Epicurien.
Nous lui parlâmes par âp, la troisième personne des Italiens, sans rappeler
son titre, et il nous parla de la même manière. Je trouvai M. Begbie sur un
pied d’égalité parfaite avec lui. C’est la règle des employés du Gouvernement
avec les natifs du plus haut rang, excepté l’empereur de Dehli, à la porte
duquel le résident laisse ses souliers. Le Nawâb me regarda avec infiniment
de curiosité, quand il apprit que je n’étais pas Anglais ; et quand il su t,
par M. Begbie, que j ’avais été en Amérique, sa curiosité devint une sorte
d’assez plaisante admiration.
Les Indiens, qui ne sortent jamais de chez eux, s’ils n’y sont forcés, admirent
beaucoup les voyageurs. Celui qui a vu le plus de pays, est le plus
savant, le plus sage pour eux. C’était le sentiment populaire des Grecs, il y
a deux mille ans, et c’est encore en Europe celui de la multitude. Des gens
qui, s’ils savent lire, ne lisent jamais, comprennent difficilement qu’on acquière
de la science autrement que par la vue des objets; et à cet égard,
un grand seigneur en ce pays est aussi peuple que le dernier de ses valets.
Je consolai le Nawâb de n’avoir rien vu, par la remarque que son repos
lui avait beaucoup mieux profité qu’à moi les voyages.. Les natifs assis
au-dessous de nous autour de la table, ne manquaient pas de babil, et
l'on causa d’intérêt local comme en tout pays. Ils joignaient les mains légèrement'et
s’efforçaient de sourire d’un air gracieux en commençant chaque
phrase. C’étaient des banquiers que M. Begbie connaissait comme fermiers
de l’État.
Le salon du Nawâb est une immense pièce assez pauvrement et insuffisamment
meublée à l’européenne, mais décorée de sculptures grossières sur
quelques boiseries, selon le goût du pays. Quand nous nous levâmes pour
nous retirer, notre prince nous suivit, et, environné de ses honneurs qui