
La plupart des bateliers de l'Houeli viennent de Dacca ou de Chittason!? • 1 1 o O'. O >
ceux-là sont tous Musulmans. Au reste, Musulmans et Hindous servent sur
le même bateau, ramant, chantant ensemble, et ne se séparant que pour
les choses de la cuisine et de la religion. Ces gens gagnent 4 à 5 roupies
par mois ( to à 12 francs). C’est le salaire moyen des gens qui vivent de
leur travail dans cette partie de l’Inde. Ils vivent de riz dont ils consomment
mensuellement un peu moins d’une roupie ( a^ o ) , de quelques herbes et
de piment qu’ils achètent, et du menu poisson qu’ils peuvent prendre. Ils
sont très-petits, laids et maigres; très-mauvais bateliers d’ailleurs, poltrons,
perdant la tête aussitôt qu'il vente sur la rivière.
Cependant le soleil s’était levé, et sur les Ghauts qui descendent au bord
du fleuve, je voyais la foule des Hindous faire leurs ablutions du matin. Je
m’approchai de la rive pour observer ces groupes pittoresques. Quelques-uns
de ces Ghauts, construits très-nouvellement, sont d’un style grec assez élégant;
c’est un large escalier, assis sur les bords du fleuve, et dont les marches
descendent jusqu’au niveau des plus basses eaux. Au sommet est une sorte
de péristyle porté sur des colonnes légères, et qui offre un abri contre la
pluie et le soleil. Près des villes et des villages, la foule qui s’y rassemble
est trop serrée pour admettre d’autres épisodes que beaucoup de liberté
entre les hommes et les jeunes femmes. Mais il y a, dans quelques lieux retirés,
des Ghauts fréquentés seulement par un petit nombre d’habitants voisins,
ou d’autres plus éloignés , mais d’un rang plus élevé , qui y viennent pour
éviter la foule.
Ils s y baignent avec leurs vetements, et j ’y ai vu bien des jeunes filles
sortir de l’eau comme des statues grecques. Elles tournaient la tête pour se
cacher, quand je passais près d’elles. Mais la tête est rarement jolie, c’est
leur corps dont 'les proportions sont belles. Leurs bras, leurs épaules, leur
taille sont admirables, mais c’est de la beauté antique ; les Français ni les
Anglais n’y trouvent pas assez d’élégance. Leur pose, leur démarche sont nobles
et gracieuses comme leurs formes, et rappellent pareillement la pose des
statues antiques.
Presque toutes ces jeunes filles avaient apporté des fleurs dans une feuille
de Bananier. Elles les posaient doucement sur l’eau du bord, et les regardaient
fuir avec le courant ; sans doute elles attachent des craintes ou des
espérances superstitieuses à leur sort. Mais y a-t-il une forme plus gracieuse
de la dévotion?
Les nobles plis que forment les mousselines de l’Inde m’avaient paru suflisants
pour expliquer les draperies des statues grecques. Ces draperies, qu’aucune
étoffe d’Europe ne peut imiter, on en voit partout ici les modèles. Je
regardais comme inutile la supposition que l’habillement de certaines statues
antiques dont on voit si bien les formes, était mouillé; mais depuis que j ’ai
vu les jeunes filles sortir du Gange dans leurs vêtements, je suis convaincu
de la justesse de cette conjecture.
■ Les étoffes européennes, quelles que soient leur finesse et la matière dont elles
sont tissues, ne drapent pas plus que du papier : elles sont roides ou chiffonnées
quand elles sont sèches; mouillées , elles durcissent, roidissent comme
du carton, ou, si elles sont fines, se pelotent en masses informes. Celles de ce
pays, les plus grossières comme les plus fines, ont une élasticité, une force
qui les empêche de se Kriser, de faire des plis aigus ; mouillées , le poids de
l’eau dont elles s’imbibent plus abondamment encore que les nôtres ne les
tend pas au delà de leur élasticité ; les plis qu’elles forment alors sont moins
larges, mais ils sont toujours arrondis. Les fils dont ces étoffes sont faites,
sont peu tordus et peu tendus, et ne forment, dans le tissu, que des lignes
sinueuses. Dans les étoffes d’Europe, ce sont des lignes droites et parallèles
mathématiquement.
Rien n’est si mesquin que le costume des natifs quand il est fait de percale
anglaise ; rien n’est si élégant, quand il est de mousseline.
Un mille f t de lieue) au dessous de Chandernagor, une ruine européenne
se montre au dessus des jungles qui couvrent la rive. Deux beaux Dattiers
s'élancent dans l’air auprès d'elle. Ce lieu a un caractère singulier de grandeur
et de désolation. Je l’ai visité, je suis monté au travers des décombres
sur lps murailles qui se tiennent encore debout; l'herbe y pousse maintenant :
quelques jeunes Pipuls, dont les oiseaux auront déposé les semences, y enfoncent
leurs racines.-C’est tout ce qui reste de la grandeur des Français dans
l’Inde, au siècle dernier. M. Lechevalier, le Gouverneur de Chandernagor
dont lord Clive réclama l’appui quand il vint aux bouches du Gange pour
faire la conquête de Calcutta, s’était bâti un palais dans ce lieu. De la plateforme
qui existe encore, on voit tout autour les ruines d un théâtre et de
quelques autres dépendances, dont les traces auront bientôt entiènemenf
disparu. Quelques toits de chaume sont appuyés contre les murs qui menacent
le moins de tomber, et dessous vivent quelques Brahmanes. C est
la famille du fermier qui cultive les anciens jardins de Goretti. De nobles
allées de Manguiers y étaient tracées jadis, qui menaient à la résidence du
Gouverneur ; maintenant ce n’est plus qu une foret.