
poétique enfin, que beaucoup d’autres y trouvent sincèrement. Je ne sens que
du vide, du néant, qu’absence d’idées, devant ce tableau que d’autres ne peuvent
contempler sans extase ou sans admiration. Son immensité, à mes yeüx, a des
limites étroites que j’aperçois, que je sens avec autant d’évidence que le raisonnement
me les montre. Quelques lieues de toutes parts autour de soi, voilà tout
ce que la vue peut embrasser. Qu’est-ce à comparer à la Lombardie tout entière
avec ses lacs superbes, à la vaste plaine du Piémont où l’oeil se promène des
cimes des Alpes ? Et d’ailleurs, quand même la vue s’étendrait à la mer jusqu’à
d’aussi grandes distances, quelle idée d’immensité ce vaste horizon pourrait-il
nous apporter ? Qui nous indiquerait l’étendue de cette surface plate et monotone
où rien ne se distingue ? car il en est de l’espace comme du temps ; s’il est
vide, la notion sensible de son étendue nous échappe, de même que nous
n'avons une idée de la durée du temps que par la succession des sensations
que nous éprouvons. Lorsque du sommet des Monts-Doré's je promène mes
regards sur le panorama qui m’entoure, le voile de vapeurs étendu sous mes
pieds me cache d’abord sa magnifique grandeur, je ne puis la mesurer. Mais
bientôt, au travers de cet océan mobile de brumes légères, je distingue la
terre verdoyante; variée, animée; des montagnes plus basses s’élèvent autour
de la cime où je suis placé ; leurs sommets plus éclairés forment des taches de
lumière dans le mélange de toutes les couleurs qui teignent ces admirables
tapis. Leurs ombres obscures se projettent à leur pied dans les vallées adjacentes,
dont je saisis peu à peu les sinuosités en suivant la trace blanchâtre et çà et là
brillante des torrents qui roulent en écumant dans leur fond. Elles s’élargissent
en s’éloignant, s’ouvrent et se perdent insensiblement au milieu des campagnes
dont les plans divers se nivellent constamment à mesure qu’ils s’éloignent
davantage, et finissent par se confondre avec la voûte du ciel. Des villes
s’aperçoivent sur cette surface bigarrée, et entre elles des villages, des hameaux,
des habitations éparses. La vue des objets innombrables répandus sur cette scène
que l’on contemple, l’idée de la distance qui les sépare; en font vivement
sentir alors l’immensité ; et pour qu’il ne manque rien à la Conviction de l’esprit
comme à l’impression de nos sens, le Mont-Blanc, aux bornés de l’horizon,
laisse paraître quelquefois dans le ciel sa cime de glace illuminée par le soleil.
Mais si je cherchais de la vie, du mouvement pour exciter ma pensée,
l’Océan tout entier m’en offrirait-il autant que le moindre détail de ce tableau?
En vain je fatigue mes regards sur sa morne étendue, sa surfacé ne garde pas
1 empreinte des êtres qui y ont vécu, je n’y vois pas même l’image de la mort;
c’est le spectacle du néant!
Est-ce le soleil lui-même avec ses feux et les teintes si variées dont il colore
le ciel j que nous admirons, lorsqu’il se lève sur nos campagnes ? La rêverie
brillante que cette scène nous inspire, qui l’excite en nous? Est-ce donc la
beauté insensible d’un phénomène physique ? sont-ce les accidents, les jeux de
la lumière ? 'Non : ce qui est inerte „ inanimé, ne pourrait toucher autant ce
qui vit et ce qui sent. Ce que nous admirons, et je dirai plus, ce que nous
aimons dans le lever du soleil, c’est le réveil de la nature; c’est le spectacle
de Ces êtres innombrables dont la terre est couverte et auxquels chaque aurore
nouvelle donne ou rend la vie. Les uns s’élancent du néant, parés de couleurs
brillantes, pour vivre l’espace d’un jour; d’autres renaissent quand l’astre reparaît
: sa fuite périodique n’est long-temps pour eux que l’heure d’une mort
passagère, du sommeil. Chacun recommence une vie nouvelle d’un jour; mais,
averti par l’expérience de la veille, sa démarche est mesurée et paraît prudente.
L'insecte laborieux se remet au travail : l'un va péniblement chercher sa nourriture
sur des cadavres", l’autre d’un vol rapide va la puiser dans le calice
parfumé des fleùrs. L’alouette du haut du ciel chante l’hymne du matin, que
mille autres oiseaux répètent de concert dans le bocage, tandis que, solitaire
et silencieux, le faucon plane déjà immobile dans les airs, cherchant une proie.
Tous les êtres animés de la création se dispersent autour de leurs demeures ,
en quête du plaisir ou excités par le besoin, dont, la satisfaction aussi n’est
que du plaisir. Dans ce tableau si varié, l’homme pourrait-il m’échapper ? Ne
vois-je pas, dès l’aurore, la fumée bleuâtre qui s’élève des chaumières ? Que de
pensées tout à coup naissent et se pressent en moi ! que de systèmes s’offrent
à ma méditation, que d’aliments à ma sympathie ! Mais la contemplation
des destinées humaines peut apporter à l ame plus de tristesse que de joie.
Je détourne mes regards d’un objet trop attachant, trop près de moi-même,
pour ne pas m’attrister profondément, si j’en considère les aspects mélancoliques;
et je cherche un refuge à ma sensibilité souffrante dans le sein de la nature
vivante, mais inanimée. Les fleurs penchées sur leurs tiges et fermées pendant
la nuit, se relèvent peu à peu et se rouvrent; la rosée s’en échappe en gouttes
brillantes ; les feuilles pliées sur elles-mêmes, relevées ou abaissées de mille
façons diverses pendant leur sommeil, reprennent au retour de la lumière la
position qui leur est propre ; toutes les plantes reviennent ainsi à leur ressemblance
naturelle, qu’un grand nombre avaient perdue dans là nuit; leurs teintes
s’àvivent à mesure que le soleil s’élève sur l’horizon. Quand les vapeurs légères
du matin se sont tout-à-fait dissipées, lorsque la rosée ne laisse plus de traces
dans les vallées herbeuses des montagnes, qu’aucun nuage ne se dessine sur