
parvenir, surtout pour le train de devant; il est obligé de s’élancer en arrière;
cette mise à flot n’a rien de dangereux, mais elle n’est pas agréable.
L ’Eléphant, du moins quand il est monté, n’a que deux allures : son pas
ordinaire, qu’il ne quitte pas volontiers, n’excède guère une lieue de poste
à l’heure ; il peut faire ainsi 2,400 toises. Il est généralement assez doux ;
c’est un faible tangage, court et brisé, qui fait jouer continuellement le
bassin sur les cuisses. Mais, pour peu qu’il soit dur, c’est un véritable exercice,
et même assez fatigant. L’autre allure l’est toujours. C’est un pas démesuré
; l ’animal jette ses membres antérieurs au lieu de les porter et de lès
poser. On tangue, on roule, on cahote; c’est la combinaison de tous les
mouvements désagréables, et cela pour faire deux lieues à l’heure.
Le conducteur de l’Eléphant, assis sur sa tê te , quelquefois accroupi, plus
souvent à cheval sur son cou , les jambes derrière ses grandes oreilles, porte
une espèce de petite hallebarde en cuivre, à pointe mousse; avec laquelle il
presse la tête de l ’animal quand il n’obéit pas assez promptement à la voix;
mais l’obéissance est ordinairement la plus soudaine, et il me semble qu’il
n’y a pas de cheval de manège qui entre aussi parfaitement dans les intentions
de son cavalier.
L ’Eléphant, tout en marchant, joue avec sa trompe, il arrache à gauche
et à droite de petites branches d’arbre, quand son conducteur le lui permet,
de l’herbe devant lui; sa trompe, c’est son passe-temps; quand on lui défend
de s’en servir, il la porte d’un air grave et chagrin, droite et pendante devant
ses jambes.
Les Eléphants dressés à la chasse du Tigre sont les plus intelligents; et
c’est le cas de ceux de Barrackpour. On raconte néanmoins sur leur obéissance
des histoires peu croyables. Quoi qu’il en soit, il n ÿ a pas long-temps
qu’un des cornacs de Barrackpour fut condamné à mort pour avoir fait tuer
une femme par son Eléphant. Ils n’ont, dit-on, qu’un mot à leur souffler à
l’oreille, et si vous êtes à portée de leur trompe, vous êtes écrasé à l’instant.
Comme sous le gouvernement des Anglais la moindre leçon donnée en ce
genre à un Eléphant coûte la vie au précepteur, je m’étonne que l’on trouve
des écoliers si instruits.
On sait que ces animaux n’engendrent pas en captivité; mais il arrive
quelquefois que des femelles pleines avant d’être captives, mettent bas après :
un des Eléphants de Barrackpour y est né ainsi. On en fait moins de cas que
de ceux nés à l’état sauvage; ils passent pour ne pas devenir aussi forts ni
aussi dociles.
Dans le Sud de l’Inde, quoique les Éléphants soient communs dans plusieurs
provinces, on les fait venir de Ceylan. Au Bengale ,< c’est du pays au-delà
du Gange qu’on les tire. Un Éléphant ordinaire coûte ici 800 roupies (2,000 fr.).
C’est le prix d’un Cheval arabe très-médiocre. Il n’y a guère que les riches Indiens
qui en entretiennent par luxe, et le gouvernement anglais pour transporter
le lourd bagage de ses armées. Un fort Éléphant porte 3,000 livres.
Ce lourd animal paraît naturellement fort indolent ; après la plus courte
promenade, il retourne; avec joie à son étable, et là , libre presque toujours,
il vague lentement, jouant avec sa trompe, mais avare de tous autres mouvements.
Il veille les enfants de son conducteur lorsque leur mère les laisse
seuls, et il les retient avec sa trompe pour les empêcher de sortir de l’écurie,
ou de s’écarter trop. Les étrangers l’approchent avec la même confiance qu’on
le fait chez nous des Vaches et des Boeufs, et jamais il ne s éloigne, comme
il arrive souvent à ces animaux. Je n’ai pas entendu dire quils se battent entre
eux; au reste, l’ordre serait facile à rétablir, car nulle espèce danimal nest
plus obéissante à l’homme.
Les Vaches et les Boeufs passent avec indifférence près des Éléphants, mais
leur rencontre épouvante les Chevaux. Je ne suis pas encore habitué à les
voir marcher vers moi. L’attirail qu’ils portent les grandit de beaucoup : de
face, ils sont superbes, mais terribles. Du mouvement dans une masse si
énorme, c’est quelque chose d’extraordinaire.
Le soleil en se levant nous fit bientôt descendre, lady William et moi ,
de notre Éléphant, pour monter en calèche. Nous parcourûmes le camp, dont
les parties occupées pâr les officiers ont l’air d’un joli village d’opéra. Nous
rencontrâmes lord William faisant, à cheval, sa promenade du matin; un
de ses aides-de-camp près de lu i, et deux gardés derrière faisaient toute sa
suite. Il n’y a pas de petit Rajah qui ne se crût déshonoré de sortir avec si
peu de monde.
C’est un beau trait de notre civilisation européenne moderne, que la simplicité
où le pouvoir peut descendre sans se déconsidérer. Nous ne le remarquons
pas; mais en Asie, il faut le voir et l’adinirer. Cest que là , le
pouvoir n’est que la force matérielle; chez nous, une notion morale 1 environne
souvent, qui le protège par le respect qu’elle inspire pour lui , et par
le sentiment de son utilité. Ce n’est un ennemi pour personne dans lln d e que
l ’homme qui la gouverne. Pourquoi n’irait-il pas seul? Qui pourrait vouloir
lui faire du mal ?