
de scènes de désespoir; des enfants sont séparés de leurs parents, des amants
de leurs maîtresses. Des Maîtres dont la dureté est connue, s’y présentent,
et Ion a vu des malheureux qui avaient appartenu à des gens humains, se
tuer au moment où ils s entendaient adjuger aux premiers.
Il y a deux moyens également faciles et infaillibles d’empêcher la traite à
Bourbon.
Le premier, qui ne mettrait pas davantage l’administration en contact avec
les Colons, et qui ne leur donnerait conséquemment aucun motif de plainte,
serait la visite consciencieuse de tous les navires armés sur les rades. Le nombre
de ceux que possède la Colonie est très-petit ; ce n’est évidemment que sous
les yeux de 1 autorité quils peuvent s’équiper. Le mal est bien plus facile à
extirper entièrement dans sa racine qu’à combattre après son développement.
Le second moyen, qu’on ne pourrait employer à Bourbon sans exciter bien
des réclamations des Colons, et peut-être quelque résistance d’abord, est applicable
à toutes les Colonies. Il consiste dans l’établissement d’un registre
de lé ta t civil des Esclaves sur toutes les habitations. Un officier, chargé de
le vérifier, parcourrait la Colonie, arriverait sans être annoncé, avec le droit
d ordonner immédiatement la revue des Noirs. Il constaterait leur nombre et
leur identité avec le registre de l’habitation. Le propriétaire qui ne pourrait
témoigner de 1 acquisition légale et publique d’un Esclave, serait, aux termes
des lois existantes, poursuivi pour crime de complicité de la traite, comme
recéleur, sans préjudice des dommages que l’enregistrement pourrait réclamer
de lui comme partie contractante d’un marché qui ne pouvait se faire
légalement sans son concours. JJ’Esclave serait reporté à Madagascar, aux
frais du Maître condamné ; ou bien il deviendrait la propriété du Gouvernement.
Aucune loi nouvelle ne serait nécessaire pour l’établissement de ces mesures;
elles ne seraient que l’exécution des lois existantes, qui défendent la
traite. IL faut en convenir, la loi qui a prononcé l’abolition de la traite des
Noirs, a prononcé la décadence, la dépopulation, la ruiné, et finalement l’abandon
des Colonies. La prospérité de Bourbon, depuis la restauration, est
la preuve^evidente de la plus scandaleuse violation de la loi.
Le nombre des hommes et des femmes est égal dans la classe des Libres,
qui ne s entretient que par les naissances, suivant les lois de la nature. Il est
excessivement inégal parmi les Esclaves, parce que les négriers ont importé
et importent toujours bien plus de Noirs que de Négresses. Il naît peu, très-
peu d enfants dans cette classe. Si donc la traite était empêchée, la population
esclave subirait en i 5 ou 20 ans une énorme diminution; ensuite elle augmenterait
ou continuerait à décroître, mais très-lentement, chaque sexe s’y
trouvant en nombre égal.
Toutes les immenses entreprises de culture faites depuis quelques années,
devraient être abandonnées : on ne pourrait du moins les poursuivre que sur
une échelle de plus en plus petite. Ce serait la ruine complète, la faillite assurée
de tous les habitants considérables de la Colonie, qui ont emprunté
presque tous les capitaux engagés dans leurs spéculations industrielles. Une
génération porterait tout le poids du désastre ; celle qui lui succéderait naîtrait
ruinée.
Le bouleversement de tant de fortunes privées est un grand malheur sans
doute. L ’humanité doit rechercher les moyens de faire respecter ses droits,
indignement outragés par la traite, sans causer tant de maux particuliers. Si
l’on pouvait temporiser avec l’abolition de cet infâme commerce, afin de faire
peser sur plusieurs générations les pertes qui résulteront de sa suppression,
ce serait un grand adoucissement au sort de chacune; mais y a-;t-il quelque
proportion entre les malheurs purement pécuniaires de quelques centaines de
familles et les atrocités dont la continuation de la traite est la cause?
Il faut choisir entre deux maux : telle est la conséquence du déplorable état
des choses. Or, l’appauvrissement des Colons est un mal moindre que les
horreurs de la traite : il faut donc sacrifier la fortune des Colons pour la vie
des Noirs.
Les défenseurs de la traite disent que les Noirs ne sont pas plus malheureux
dans les Colonies que dans leur pays : les hommes que les traitants
achètent, sont,‘ disent-ils, des prisonniers faits à .la guerre, que l’on tuerait
peut-être si tes Européens ne se présentaient pour les acheter; ou.bien ce sont
des hommes nés. esclaves, esclaves déjà dans lèur pays.
Cela est généralement vrai. Il est vrai que"ce sont des prisonniers que les
négriers achètent aux chefs africains de la cote occidentale ; telle est aussi la
condition de presqùe tous les N oirs achetés sur la cote de Mozambique jusqu’à
Zanzibar. Enfin, les Malgaches, que Ton importe à Bourbon, étaient esclaves
à Madagascar. C’est à leurs Maîtres qu’on les achète. /
Mais pourquoi les chefs de ces tribus sauvages de l’Afrique se font-ils sans
cesse la guerre? N’est-ce pas parce que des Européens viennent leur apporter
de l’argent et des denrées en échange des prisonniers que la guerre
fait tomber entre leurs mains? A qui vendraient-ils leurs prisonniers, si ce
n’est aux Européens ? et à quoi bon faire des prisonniers, s’ils ne trouvaient
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