
10 heures et 2 heures et Je remarque aussi, depuis Saseram, un léger changement
dans la transparence de l’atmosphère. Les nuits ne sont pas moins
pures; mais à l’aube du jour, qui annonce, bien moins brusquement qu’à
Calcutta, le liv er du soleil, quelques parties du ciel se parsèment de vapeurs
blanchâtres dont l’horizon est obscurci à une très-courte distance. Elles
stagnent dans l’atmosphère, à une très-petite hauteur, et le soleil, en se levant
, ne les dissipe pas; elles se divisent davantage et remplissent l’air d’une
sorte de poussière blanche. Au milieu du jour, quelques nuages blancs se forment
dans les hautes régions du ciel : le voisinage du Gange en est-il cause?
Les gens que j ’ai eu Constamment près de moi daus le premier voyage que
voici terminé demain, avec l’année 1829, n’ont pas été un des sujets d’observation
les moins intéressants qu’il m’ait offerts. Les Européens, dans les villes
de l’Inde, n’aperçoivent presque rien de la vie des natifs qui les servent. Le
service domestique en ce pays, est, comme ailleurs, le service militaire; il
duré, pour chaque homme, quelques heures du jou r; hors, de là, i f se trouve
libre , et vous ne savez rien de la forme d’existence des geùs qui vous servent.
11 n’y a peut-être pas un Européen à Calcutta qui sache' où demeure un seul
de ses domestiques; s’ils sont mariés;* s’ils ont des enfants, des frères, des
parents âgés, et en quel pays; ce qu’ils font de leurs épargnes, etc., etc. C’est
une chose étrange, et particulière à la nation anglaise, que cette distance à
laquelle elle e ÿ si jalouse de tenir les étrangers avec lesquels elle est mêlée;
et en ce pays les natifs n’ont pas fait d’avances à leur réserve. La èlasse
nombreuse des Behras, la plus domestique de toutes celles qui servent les
Européens dans l’Inde, vivant à quatre pas d’eux, au dedans de leurs maisons,
dans le_s chambres qu’ils occupent, et qui les suit de chambre en chambre dans
toutes les parties de leurs demeures, pour les éventer, pendant neuf mois de l’année
, n’a pas encore produit un homme qui comprit l’anglais. Ils assistent comme
des animaux, comme des meubles, à toutes les conversations, et l’espoir de les
comprendre un jour ne les engage jamais à y prêter aucune attention. Les Ret-
matgars qui servent à table, paraissent pour mettrè le couvert, et s’enfuient
après l ’avoir enlevé : où vont-ils? que vont-ils faire ? D’autres serviteurs, à la ville,
ne voient jamais la face du maître. En voyage, la nécessité les livre à votre observation.
Mes gens en paraissaient fort déconcertés les premiers jours, maiscnun
mois les voici fort habitués à être regardés et questionnés sur les choses qu’ils
aiment à cacher. En me parlant quelquefois de leur pauvreté, pour obtenir
quelque petit présent, ils m’ont donné l’occasion de les interroger sur leur
famille; car il n’en est pas un auquel ses gages ne doivent suffire de reste pour
sa nourriture et son mince entretien, l’un et l’autre réglés au taux de là misère
générale. Alors j ’ai su quels étaient mariés, quels ne l’étaient pas; j ’ai
demandé depuis quand, et combien d’enfants, et l’âge de la femme, etc. Mes
quatre Hindous, dont un n’a que 19 ans, sont mariés. Leurs femmes sont à
100 et 200 lieues d’ici, dans le pays d’un chacun. Ils prétendent tous leur
faire une pension mensuelle réglée sur la quotité de leurs gages ; la moindre
est d’une roupie (a f,5o ) , c’est ce que donne le plus pauvre, celui qui n’a
que 4 roupies ( iof,oo) par mois. Mais l’imbécile, qui peut à peine se traîner
sur ses jambes, quoiqu’il prétende ne s’être jamais mieux porté, au lieu d’une
femme, seul d’entre to u s , en a deux ; et il partage avec elles par moitié son
mince salaire : il lui reste 5 fr. par mois pour toutes ses dépenses. Pourquoi
ces deux femmes? Pourquoi une femme seule dans de telles conditions? je
l’ignore; et ces malheureux sans doute ne le savent pas eux-mêmes. Sans elle^
ils auraient dans leur situation une aisance relative, se pourraient vêtir chaudement,
proprement, mettre un peu de beurre dans leur r iz , et acheter encore
dans l’occasion la jouissance d’une femme; tandis que, mariés, ils sont
forcés à la continence maritale par l’éloignement, et, par la misère où le
mariage les réduit, à une continence à peu près absolue. C’est 1 instinct de
la nature qui fait en Europe des unions dans les basses classes*, et qui leur
prépare un avenir plus misérable encore par l’imprévoyance; mais dans 1 Inde$
rien de pareil. Si l’on peut désirer la femme que l’on n ’a jamais vue, ce n’est
pas du moins à 8 ans : et c’est à cet âge que les parents concluent entre eux,
dans %haque caste, les mariages de leurs enfants. Les castes les plus élevées
sont, comme en tous pays, les plus éloignées de la nature, et ne se départent
jamais de cette règle, mpins rigoureusement observée par les plus basses. Il
ne faut cependant chercher dans celles-ci rien qui ressemble au sentiment
passionné qui existe si souvent en Europe parmi les classes inférieures, et
quelles prouvent si fréquemment, en France surtout, par des suicides, lorsque
des obstacles s’opposent à l'accomplissement de -leurs désirs.
Un de mes charretiers^ jeune drôle fort alerte,, dune vingtaine danneesf
Musulman, me dit qu’il fest marié depuis 10 mois à Calcutta; qu il a une
petite femme, toute petite, de 12 ans. «C’est un bien grand plaisir!» Il lui
donne par mois 2 des 5 roupies qu’il gagne, 5f,oo sur i2 f,5o; mais quand il
est près d’elle, jamais elle ne mange avec lui, avec lui ne cause, et ne lui
sert exactement que comme toutes les filles de cet âge lui pourraient servir
pour moins de 2 roupies; ( 5f,oo ) par mois; mais elle est sa chose. S il n a
pas de vêtement pour couvrir sa peau nue dans 1 hiver, s il n a rien au monde’
I. 4a