
de jolis jeunes gens bacheliers de l’Université, leurs frères sans doute. Le
voile de dentelle ou de crêpe qui couvrait toutes les figures, n’en cachait
aucune et le demi-jour dans lequel on se voyait, ajoutait un attrait piquant
aux regards multipliés qu’on s’envoyait d’un groupe ou d’un couple à l’autre
dans la foule.
Dans un millier ou deux d’années, ces cérémonies du culte catholique seront
aussi convenables à servir de cadres à de jolies intrigues sur le grand Opéra
de ce temps-là, que la mythologie antique aujourd’hui.
Le solitaire vallon de Laguna s’étend à une lieue dans la direction de VOro-
tava; là, s’élève un nouvel étage de montagnes; elles sont boisées; quelques
sources s’en échappent; uii chétif aqueduc en bois rassemble les eaux de
plusieurs, et apporte à la ville ce que l’évaporation a laissé. C’est peu de chose.
Aussi l’eau est rare à Laguna comme à Sainte-Croix, où la nature poreuse
du sol rend également les puits inutiles.
Une ligne de verdure indique de loin, dans cette campagne brûlée et
rougeâtre, le chemin de cet aqueduc. L’eau qui en dégoutte incessamment,
entretient, au-dessous, quelque peu de végétation : il y a même en plusieurs
places où il s’en perd davantage, quelques petits massifs de chétifs peupliers :
leurs troncs sont rabougris et tortus, leur feuillage triste et grisâtre ; cependant
ils plaisent, ils reposent la vue.
Avant d’arriver au vallon, dont la forêt de Laguna couvre les pentes, on
rencontre dans le lit desséché d’un torrent qui en descend, des troncs énormes
et mutilés, les uns chargés encore de quelques branches rompues de leurs
racines, d’autres hachés et fracassés. Ce sont les témoins d’un ouragan terrible
qui détruisit, il y a quelques années, une grande étendue de cette forêt. Le
vent arracha tous les arbres des pentes les plus exposées à sa furie ; la pluie
qui tombait par torrents emporta avec eux dans le fond du vallon, la terre
végétale qu’ils laissaient nue, et cette épouvantable débâcle se précipita dans
la plaine de Laguna. Telle qu’elle est, la forêt est encore bien belle : il me semble
du moins qu’il n’y a pas besoin d’être botaniste ou prisonnier à la mer depuis
vingt jours pour l’admirer.
Les productions naturelles sont beaucoup moins équinoxiales, s’il est permis
de parler ainsi, que le climat de l’île ne semble pouvoir le promettre. La végétation,
considérée en général, est plutôt méditerranéenne qu’intertropicale. Les
formes d'éricinées, représentées ici par trois espèces au moins & Eric a , par des
Arbutus, etc., etc., sont absolument étrangères à la flore du tropique au nord
de l’équateur. Cependant, ces plantes grasses si singulières, le Sempervivum
arboreum, le Cacalia canariensis, et cet euphorbe charnu et sans feuilles
(jEüph. canariensis) , répandues avec profusion, distinguent absolument la
flore de Ténériffe de celle des côtes de la Méditerranée, et la rendent vraiment
africaine : l’absence de palmiers ( à l’exception peut-être du Chamoerops humilis,
que je n’y ai pas rencontré ) est une de ses particularités remarquables. On n’y
cultive même qu’un arbre de cette famille, le dattier. C’est sans doute parce
que le cocotier n’y réussit pas, ou n’y peut croître, qu’on ne l’y élève pas.
J’aurais cru qu’il devait se plaire dans un climat plus chaud qu’il n’est nécessaire
aux bananiers, puisque ceux-ci ne sont pas moins beaux à Laguna, dans une
situation déjà élevée, qu’à Sainte-Croix, au niveau de la mer. Il n y a point de
Mangiferay ni d? Achras y ni d’autres fruits de 1 Amérique et de 1 Asie équinoxiale.
J’ignore si les bananes y sont assaisonnées ou si elles y mûrissent dans
. . . 1 toutes les saisons de l’année, indistinctement, comme entre les tropiques.
Au i 5 septembre, quelques pommes de la plus mauvaise espèce étaient deja
mûres. Le raisin commençait à mûrir, et était déjà commun ; les grenades aussi,
et les pêches. Les noix ne me semblaient pas plus avancées qu elles ne le sont
dans le centre de la France en cette saison. La première récolte de figues ne
faisait que de finir. Dans un pays si chaud, je me serais attendu à plus de précocité
dans tous ces fruits. Il est aisé néanmoins de se rendre compte de ce retard
de la végétation. Nous voyons en effet, dans les climats temperés, les plantes
croître d’autant plus rapidement que leur végétation a été plus long-temps
suspendue dans l’hiver. Sous le pôle, et près dés glaces éternelles des Alpes et
des Pyrénées, elles doivent en parcourir le cercle entier, en quelques semaines,
parce que c’est là tout le temps que la terre y reste découverte de neige. Peu
d’espèces végétales, il est vrai, se prêtent à ces exigences du climat, aussi la
flore de ces lieux est-elle fort restreinte et peu variée ; mais au pied des Alpes,
dans les vallées qui sillonnent profondément leurs flancs , en s’élevant jusqu à
un millier de mètres au-dessus du niveau de la mer, où 1 hiver avec ses neiges
ne règne pas plus de cinq mois, la variété des plantes est extreme, et toutes
celles qui y croissent semblent s’y plaire. Nulle part le printemps n étale plus de
fraîcheur, l’été plus de magnificence, si ce n’est peut-être dans les vastes plaines
du nord de l’Europe, de la Pologne et de la Russie, qui ne secouent chaque
année leur triste manteau de neige, que pour se couvrir, dansl espace de quelques
jours, de la plus brillante verdure. Là, le retour du printemps donne
à la végétation une fougue, une vigueur exubérante, que déjà, sur le littoral
européen de la Méditerranée, elle n’a plus jamais ; on dirait que les plantes
menacées par l’hiver prochain qui s’avance, précipitent leurs développements,