
de reconnaissance, à l’aide duquel ils se compteront un jour; et après s’être
comptés, ils écraseront leurs maîtres. Ils prendront de force, alors, ce qu’on
aura eu l’irréparable tort de ne leur pas accorder graduellement.
Lès Noirs ont à Rio des églises qui leur sont plus spécialement affectées.
Elles sont desservies par des prêtres Mulâtres. Cet office leur plaît davantage
que celui des prêtres Blancs. Je l’ai entendu. Il est identique au nôtre. Au reste,
il n’y a guère de dévotion que parmi les Noirs nés dans le pays, pliés dès leur
enfance aux pratiques religieuses de la famille de leurs maîtres, et chez ceux
qui ont été amenés au Brésil dans leur bas âge. Tous les autres gardent leurs
superstitions africaines, auxquelles plusieurs ajoutent en même temps quelques
pratiques chrétiennes. Les maîtres ne s’en occupent aucunement. L’amélioration
morale et l’instruction religieuse des Noirs sont des pensées qu’aucune
tête brésilienne n’a encore conçues.
Quel contraste entre cette inertie, cette torpeur, cette dissolution d’un
peuple d’Européens méridionaux, qui attendent passivement, indolemment,
lâchement, les chances de leur condition sociale, sans chercher à détourner
celles dont l’avenir les menace, à combattre vigoureusement celles contre lesquelles
la résistance ne serait pas inutile; quel contraste, dis-je, entre cette
honteuse agonie du peuple portugais et la grandeur politique du peuple anglais,
dont les efforts gigantesques soumettent l’univers à sa religion, à ses
moeurs, à son langage, à quelques-uns des bienfaits de son gouvernement,
et fondent sa richesse et son bonheur sur les progrès de tout genre de l’espèce
humaine! *
La marine brésilienne se compose actuellement de deux ou trois vaisseaux
de ligne qui tiennent rarement la mer, et de plusieurs grandes et belles
frégates de construction américaine. Les équipages sont formés de matelots
blancs, anglais, français, ou américains, qu’on embauche dans tous les ports
où relâchent des bâtiments de ces nations, et de Noirs enlevés au cabotage
et au batelage du pays. Les officiers sont presque tous brésiliens ; ils viennent
de prouver dans la Plata combien peu ils se battent. L’impéritie et la lâcheté
des états-majors annihilent ainsi complètement tous les résultats qu’on pourrait
obtenir de la composition partiellement bonne des équipages.
Cette marine militaire n’a pas un grand commerce à protéger. Le seul trafic
que fasse le Brésil au-delà de ses eaux, est celui des esclaves. Le pavillon
brésilien ne se traîne d’ailleurs que le long de ses côtes, Le cabotage apporte
à Rio, à Sainte-Catherine, à Fernambouc et dans toutes les villes littorales,
les produits territoriaux des rivages intermédiaires qui sont destinés à l’exportation
en Europe, et quelques-uns destinés aussi à la consommation de ces
grandes villes. Ce commerce est peu considérable. Des Noirs, des Mulâtres y
servent comme matelots, et souvent comme patrons. Ces petits équipages sont
généralement composés d’esclayes. Le chef seul est libre, et il est le maître de
ses matelots. Dans le batelage qui se fait au-dedans de la baie de Rio, les patrons
eux-mêmes sont presque tous esclaves. Ce sont les gens de confiance
du maître. Ils lui rendent, par jour ou par semaine, une somme qui doit représenter
la valeur de leur propre travail, de celui des rameurs qu’on leur
donne , et du prêt de l’embarcation. Les assassinats ne sont pas rares à bord
de ces bateaux que ne surveille aucune police.
Rio a deux places, au milieu de chacune desquelles est dressée une potence :
l’une pour les Blancs, l’autre pour les Noirs. Quoique les meurtres soient
communs et la peine de mort souvent répétée dans les lois criminelles, il n’y
a rien de si rare que les exécutions. La justice est pitoyable. Le petit nombre
de criminels que la police lui livre, elle les garde tous plusieurs années prisonniers
avant de les juger ; puis le jugement tardif qui vient ensuite, en
acquitte un grand nombre. Il n’y a que les plus scélérats qui soient condamnés;
et ce n’est pas à la peine capitale, çest aux galères perpétuelles, aux travaux
forcés.
Les travaux publics les plus pénibles ou les plus rebutants d’une grande
ville sont exécutés, à Rio, par les condamnés, avec lesquels on mêle indistinctement
les prévenus. Ils sont enchaînés deux à deux ou en bandes. Il y a plus
d’ennui dans l’expression de leur physionomie que de souffrance. J’ai fait la
même remarque aux bagnes de Brest et de Toulon.
C’est toujours un acte populaire du Gouvernement que la commutation de
la peine capitale prononcée contre le plus grand scélérat. Il est bizarre que ce
peuple, accoutumé aux meurtres dans l’ombre, ait tant d’horreur des exécutions
publiques. Pendant bien des années, on ne put obtenir du feu Roi que
la confirmation d’une seule sentence de mort. L’homme fut exécuté. C’était un
Noir qui, après plusieurs meurtres, avait fini par empoisonner son maître et
toute sa famille. Le jour de l’exécution fut un jour de deuil et de désolation
dans la ville. Toutes les confréries religieuses l’accompagnèrent jusqu’au lieu
du supplice. Des milliers de messes furent dites pour le repos de son ame. Le
Roi lui-même en fit dire pendant long-temps.
Les Blancs sont mêlés avec les Noirs dans les prisons; mais il y en a peu. Le
régime de ces prisons est effroyable. L’administration dè la justice n’y fait faire
aucune distribution régulière de vivres. Les prisonniers ne vivent ordinairem
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