
Ces Noirs, nés soi-disant dans la Colonie, ne sont autres que ceux
introduits par les négriers. L ’administration en avoue 4,000 ; o r , comme il y a
une capitation sur les Esclaves, et quedës maîtres out ¡conséquemment intérêt
à en déclarer moins qu’ils n'en possèdent, que l’administration ¿ ’ailleurs ne
se permet aucune visite domiciliaire pour en constater le nombre, elle est
nécessairement trompée, et son évaluation se trouve au-dessous de la vérité.
On peut donc hardiment Conclure que, si elle trouve annuellement 4,«00 Noirs
au-delà de ceux dont l'état civil constate l’existence, il y en a 6,000^et Comme
la mortalité est très - considérable parmi ces malheureux dans la première
année de leur importation, Ce n’est pas exagérer assurément que de porter
à 8,000 le nombre d’Esclaves débarqués chaque annêé à Bourbon par les na-.
vires négriers.
Si l’on avait, aii resté, un grand intérêt à en connaître le nombre avec une
parfaite exactitude, rien ne ¡serait plus aisé. La traite se fait avec* tant d’audace,
avec si peu de blâme, que câest des négriers eux-mêmes qu’on l'apprendrait
: ils n’eu font pas mystère.
Pour la forme, de temps en temps, le gouvernement en fait saisir un; rien
n’est si-aisé : mais ce qui ne lui êst pas si fa c ile ,¿ e s t de le faire’ condamner
par les tribunaux. Us sont difficilesȈ convaincre. Il y a quelques mois, un
traitant fut prix débarquant sa cargaison sur le rivage de la Pps'çession. §pp
avocat le défendit et le fît “acquitter, en déclarant que. les Noirs qu’il débarquait
étaient des jeunes- gens de famille., que leurs parents avaient confiés à
son client, pour les conduire, à Bourbon, afin d’y apprendre la culture des
Cannes et la fabrication du Sucre., et revenir transporter cette industrie à
la côte d'Afrique:
L’administration serait en contradiction avec ellc-même, si elle poursuivait
sérieusement la traite. Qui veut la fin, veut nécessairement le moyen; et le
moyen des colonies à Sucre , c’est \esçlavage, et la traite pour compenser les
effroyables effets de la mortalité parmi les Esclaves.4
Un ou deux petits bâtiments de guerre stationnent ordinairement sur la
rade de Saint-Denis, où croisent dans lés eaux dé l'Ile. Ils prennent uu®né-
grier quand on juge convenable d’en faire saisir un, pour paraître exécuter
la loi de répression de la -traite.
Ce qui fait la cherté des Esclaves, ce-sont les frais énormes ded’ârmement
des petits navires qui., servent à la traite, et le taux excessif de l’intérêt de
l’argent que les>armateurs doivent emprunter pour monter ces entreprises.
Il faut à un négrier, un très-fort équipage;,ej( les matelots, à Bourbon, ne se
louent pas moins de 3o piastres ( x 5o francs ) par mois. On ne peut s’y procurer
que des déserteurs des bâtiments de commerce européens, mouillés sur
les rades. Ces hommes, dès qu’ils ont déserté de lexirs bords, sont recherchés
aussitôt par leurs capitaines ; leur embarquement sur les navires négriers qu’on
arme en rade ne se fait donc qu’aveé difficulté, car l’administration, sous peine
de se déclarer ouvertement complice de la traite, est bien obligée de faire justice
aux réclamations des capitaines marchands, et d’ordonner quelquefois la visite
de ces navires, qu’ils dénoncent comme servant de retraite à lexirs déserteurs.
Enfin, les négriers, en arrivant à Madagascar ou à la côte d’Afrique,
ne trouvent pas toujours leurs cargaisons toutes prêtes à embarquer; il faut
souvent négocier, sur la côte d’Afrique, avec des^ Arabes extrêmement fripons,
ou avec des Portugais qui ne le sont pas moins. On est rançonné par
eux. Chaque jour de délai coûte une somme considérable : tant de dépenses
courent jusqu'au désarmement du navire! Et quand on a repris la mer, des
maladies épidémiques, qui naissent de l’entassement du nombre effroyable de
victimes qu’on a accumulées dans le plus petit espace, sur la foi d’une courte
traversée, se déclarent, en emportent quelquefois la moitié, et réduisent à un
tel état d’émaciation et de faiblesse celles qu’on peut amener vivantes jusqu’à
Bourbon, qu’on trouve difficilement à les y vendre; il faut les garder quelque
temps pour les" refaire, et pendant ce temps-là l’intérêt des fonds que l’on a
empruntés continue à courir. Deux ou trois voyages malheureux ruinent un
traitant ; ils compensent les bénéfices énormes de quelques traites brillantes.
On ne cite, dans la Colonie, que deux ou trois personnes qu’elle ait enrichies.
Elles la faisaient avec leurs propres ressources., qui étaient considérables; mais il
y a une foule de petifecapitalistes qu’elle a ruinés, et dont on ne parle pas. Leur
exemple est perdu et ne dégoûte pas le’s autres. Cest comme la loterie; c’est
un jeu. Il adinet quelques chances.superbes par lesquelles on se laisse séduire,
et Tony met en sachant fort bien que la majorité des joueurs, qu’on ne manque
pas d'appeler maladroits ou m alheureux, y perdent plus qu’ils n y gagnent.
. Les Noirs, une fois débarqués et campés sur le rivage, aucune recherche
n’est faite sur leur origine. Le bruit de leur arrivée se répand dans les
Quartiers voisins; les traitants eux-mêmes le propagent, afin que les acheteurs
se rendent aussitôt sur le lieu où on veut les vendre, et y fassent monter les
prix par la concurrence de leurs offres. Les cargaisons ne se détaillent guère;
on les vend par parties, par lots, et toujours au comptant. Il n’y a que les
Noirs de succession et d’expropriation qui se vendent un à un. Ces Noirs se
vendent le dimanche, aux criées des avoués : elles sont l’occasion fréquente
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