
l'azur du ciel, alors tout ce mouvement de la nature se ralentit, et une scène
de splendeur tranquille commence, qui dure jusquau soir.
Le soir et le matin, voilà les instants critiques de la nature. Le retour du soleil
et sa fuite sont sans doute le phénomène qui domine et qui règle ces scènes
si variées, si brillantes, si harmonieuses, si suaves. Mais ce n’est pas l’astre
inerte qui nous touche; ce sont les objets qu’il éclaire, soit qu’il les dore de
ses feux naissants, soit qu’il les empourpre de sa lueur mourante.
Si l’admiration tendre pour le lever et le coucher du soleil sur les campagnes,
n’est, comme je l’éprouve, qu’un exercice très-actif de la sympathie, ces scènes
attacheront davantage les êtres sensibles et bons : aussi voyons-nous que tous
les Allemands, en prose ou en vers, en sont amoureux; et le héros du Dead
blank, l’homme ennuyé, dégoûté de tout, qui n’aime rien au monde, qui
n'espère ni ne désire rien au-delà, se passionne pour le spectacle de l’Océan.
C’est à l’auteur de Manfred qu’il a inspiré ses plus beaux vers. Le dark blue Océan,
le morne Océan, devait être aimé du plus sec des hommes, de lord Byron.
Nous devions d’abord relâcher à Madère, en nous rendant à Rio ; mais l’igno-
ranee où nous étions des affaires politiques du Portugal, qui venait de déclarer
cette île en état de blocus, et la crainte de nous y trouver pendant la lutte des
constitutionnels avec les absolutistes et les Brésiliens, firent bientôt préférer
à M. de Melay la relâche de Ténériffe. Les vents d’ouest et de S.O. nous
contrarièrent fréquemment dans cette traversée, qui dura ig jours, et dont
un seul petit événement vint rompre la monotonie. Le 7 septembre, un navire
qui depuis deux jours faisait la même route que nous, en changea brusquement
et gouverna sur nous. Les parages où nous étions ( le large par le travers du
détroit de Gibraltar ) le rendant suspect, et sa manoeuvre semblant même
hostile, on fit aussitôt le branle-bas de combat,, et l’on courut à sa rencontre,
gardant l’avantage du vent. Alors il hissa un pavillon : c’étaient les couleurs
anglaises ; et il vira de bord pour s’éloigner. Nous lui donnâmes la chasse ; et
quand l’avantage du vent que nous avions sur lui nous eut permis de le gagner
un peu, nous hissâmes notre pavillon en l’appuyant d’un coup de canon a
boulet qui fit merveille. L’inconnu amena ses voiles et nous allâmes passer
près de son bord ; les sabords ouverts, les canonniers, mèche allumée, à leurs
pièces, les hunes couvertes de gabiers armés de fusils. Le capitaine, en uniforme,
était sur la dunette, tenant à la main un immense porte-voix. Je l’entendis
qui essayait de demander au capitaine anglais ( car notre Algérien présumé
n’était qu’un pacifique bâtiment de commerce de Bristol, appelé le général
Wolf) la raison de sa manoeuvre; mais l’Anglais ne répondit point, sinon
qu’il ne comprenait pas, et, en effet, il y avait peu de quoi comprendre, car
notre jeune commandant ne savait estropier que cinq ou six mots anglais. Il
me pria donc de prendre le porte-voix et de demander à ces gens pourquoi
ils avaient changé de route pour marcher sur nous, sans pavillon. Ils nous
répondirent qu’ils nous avaient pris pour une frégate anglaise. Ce non sense
les raccommoda un peu avec notre capitaine. Cependant il me pria de leur
dire qu’ils étaient des f. et des b ., et que s’ils s’avisaient une autre fois d’une si
impertinente manoeuvre, on les canonnerait. Je grossis donc ma voix autant
que je pus, et supprimant dans ma traduction ce qu’il y avait de trop peu
parlementaire dans le texte original du capitaine, je leur intimai sa menace,
et nous reprîmes notre route.
Il est un peu honteux que, dans un état-major de huit officiers, personne
11e sache parler anglais. Cette petite circonstance donne beaucoup à penser
sur notre système d’éducation. On va chercher bien loin, à grands frais de
temps, ce dont on n’a souvent que faire, et l’on se prive des choses nécessaires
qu’on trouverait sous sa main en se baissant un peu Les langues mortes
et les langues vivantes.
Quand le petit émoi du matin fut passé, on s’amusa à faire des conjectures sur
le motif de la manoeuvre singulière du général Wolf. Je fus d’avis que comme
c’était dimanche, le capitaine, avec quelques passagers, avait pu déjeuner ce
jour-là mieux qu'à l’ordinaire, et qu’à table un pari s’était engagé peut-être
sur notre rang et notre nation, et qu’ils avaient dù ainsi nous venir regarder
sous le nez pour savoir à quoi s’en tenir.
Si ce curieux général Wolf, au lieu d’avoir quelques hommes d’équipage,
en eût eu comme nous une centaine, avec le même nombre de canons, et
les intentions qu’on lui avait d’abord supposées, je ne sais si le combat eût
tourné à notre avantage. Ce soupçon tient à l’idée que j ’ai, peut-être à tort,
qu’à bord d’un autre bâtiment de guerre, les choses sont mieux ordonnées
qu’ici. Mais ce dont je suis très-convaincu du moins, c’est qu’ici elles le sont
mal. Je vois bien que chaque jour on exerce, pendant, deux ou trois heures, les
hommes à la manoeuvre du canon, et plus souvent à l’exercice du fusil. Ils
font la charge en douze temps aussi bien que de vieux grenadiers. Mais dans
un combat à la mer, c’est bien de la charge en douze temps qu’il s’agit, je
m’imagine! Qu'importe alors cette précision automatique ;de mouvements et
dévolutions que le roulis et le service du bâtiment, et les accidents auxquels
de toute part il faut remédier, les cordages coupés à renouer, des palans
emportés à replacer, que toute cette horrible confusion enfin rendent tout-à-fait