
De punitions, il n’en est pas question dans cette classe. M. Ross leur parle
comme à des jeunes gens qu’ils so n t, et non comme à des enfants.
Après la leçon, je fis quelques questions à ceüx qui étaient près de m o i,
au jeune mathématicien surtout. Je leur trouvai, en chimie, ces connaissances
superficielles et générales qu’il est honteux à un homme bien élevé de ne
pas posséder. C’est beaucoup sans doute : mais je crois que c’est là tout. Je
leur demandai s’ils se rappelaient comment Lavoisier, dont ils savaient très-
bien le nom, avait prouvé la composition binaire de l’eau par l’analyse et
par la synthèse : aucun ne répondant nettement, je leur contai ses deux expériences.
Us me comprenaient fort bien et témoignaient beaucoup d’intérêt.
Un petit cercle setait formé autour de moi, et pour ne pas finir avec eux
en professeur, je leur dis ce que c’était que Lavoisier, et comment il périt.
Cette histoire européenne les intéressait vivement sans les étonner. C’est, la
mesure et l’espèce d’effet le plus désirable. L’excessive stupidité, il est vrai,
ne s’étonne de rien; mais de celle-là, on ne peut les soupçonner : cette stu-
pidité-là, c’est la surdité complète de l’ame. Après, vient un degré de stupidité
dont beaucoup de races humaines, en vérité, et d’individus dans chaque
famille, peuvent être capables, et qui s’étonnent de tout : c’est le cas des bêtes.
Mon petit auditoire fut appelé alors à une autre leçon et me quitta. En
se retirant, un de ces jeunes gens, celui auquel j ’avais parlé davantage, regardant
ses camarades comme pour prendre leur avis, me fit, de la meilleure
grâce du monde, avec une politesse noble et sans le moindre embarras,
des remercîments pour l’intérêt que je témoignais à leurs études. Un écolier
de cet â ge , en Europe , est toujours gauche, s’il n’est affecté. I c i , aucune
affectation de quelque genre que ce soit.
Après avoir parcouru des classes plus nombreuses et plus jeunes, où des
maîtres européens et natifs enseignent aux enfants leur propre langue, l’Hin-
doustani et son dialecte corrompu, le Bengali et l’Anglais, je retrouvai mes
jeunes savants. Ils preuaient une leçon d’histoire. Chacun d eux avait à la
main une histoire d’Angleterre, et chacun à son tour eh lisait un paragraphe.
Leur prononciation était telle que je les comprenais parfaitement sans suivre
dans le livre ; cependant elle était assez souvent incorrecte. J’ignore pourquoi
leur maître ne les reprenait pas.
Alors, il est v ra i, ce n’eût plus été une leçon d’histoire, c ’eût été une leçon
de langue anglaise. Il est difficile de donner l’une et l’autre à la fois : de fréquentes
interruptions, des rappels à l’ordre pour la prononciation, font oublier
le sens de la lecture , ou en tuent au moins tout-à-fait l'intérêt.
Les classes les plus jeunes m’ont paru les plus attentives. Dans aucune je
n’ai reconnu l’air ennuyé des écoliers de mon temps et de mon pays; il y a
de la gaîté parmi ces enfants, mais sans grands c ris, sans violence. On ne
les frappe pas.
Un des professeurs est un jeune Portugais de demi-caste, qui s’est distingué
entre tous les natifs par la publication d’un poème anglais, et qui est
éditeur d’une petite feuille littéraire. Ses élèves ont de 14 à 16 ans; il leur
enseigne quelque peu de rhétorique. Hier, ces enfants avaient apporté chacun
une petite dissertation écrite sur une question qu’il avait familièrement traitée
devant eux le jour précédent. «Le duel est-il justifiable ?» Il leur avait dit le
pour et le contre ; et chaque écolier avait fait valoir celle des deux opinions
a laquelle il setait rendu. Tous, comme de raison, à l’exception d’un seul,
firent leur petit discours en faveur du duel. J’en pressai quelques-uns d’objections
: ils n’avaient pris fait et cause que pour des mots. Leurs petits raisonnements
européens ne pouvaient être qu un jeu de leur esprit sur les
mots de la veille ; je doute fort qu il s’échange jamais quelques coups d’épée
ou de pistolet entre ces enfants-là quand ils seront hommes.
Ils savaient bien 1 histoire grecque et la géographie ancienne : j ’aurais embarrassé
beaucoup d écoliers européens de même âge avec plusieurs questions
familières que je leur fis^ et auxquelles ils surent très-bien répondre.
Dés 5oo écoliers que le cpllégé peut admettre, il y en a près dè 100 que
M. Wilson dévoué au culie du sanscrit. C’est une pépinière de fouilleurs des
antiquités indiennes qu’il élève là.
Il n’est pas question de religion dans l’enseignement du collège hindou. C’est
une interdiction que s’impose le Gouvernement de la Compagnie dans tout
le système* de son administration : elle ne paie pas un seul missionnaire, et
éteint autant que possible la ferveur prosélytique des prêtres réguliers qu elle
a dû attacher à certaines stations civiles et militaires.
Au reste, ces missionnaires anglais et américains des divers cultes chrétiens
réformés, que le Gouvernement tolère sans les protéger, mangent ici très-
inutilement l’argent des sociétés bibliques; il n’y a que les jésuites qui aient su
faire des conversions dans l’Inde. Des chrétiens scrupuleux pourraient, à la
vérité, demander quelle est la religion de leurs convertis, et contester que
ce soit la chrétienne; mais enfin, s’ils n’en ont fait que de très-mauvais chrétiens,
s’ils ont continué à tolérer en eux quelques pratiques superstitieuses des
Hindous , toujours est-il qu’ils les ont délivrés des liens de leurs castes. Us
les ont ainsi, non civilisés, mais rendus aptes à la civilisation.