
qui choque si rudement la modestie européenne, y est prodigué; mais il a
une forme conventionnelle si décente, que j ’ai dû demander si c’était lui.
On le voit partout dans les temples et hors des temples; c’est un lieu commun
des ornements de l’architecture.
Le sommet d'une de ces pagodes est magnifiquement doré. La multitude
de mitres accolées dont ce petit édifice est formé, sont filées d’une infinité de
lignes qui se raccordent les unes aux autres avec une étonnante régularité.
C’est un ouvrage de symétrie plutôt que de goût : nous fûmes réduits à n’en
voir que l ’extérieur; il n’y a que les Brahmanes et les animaux de l’espèce
Bos domesticus qui y puissent entrer, tant ce lieu est saint! Les Hindous
de toutes les castes rfestent à la porte.
Près de ce temple -est une masure, le rectorat de la paroisse, où une
cinquantaine d’Hindous, accroupis comme des singes, écoutent bénévolement
du matin au soir les contes des Brahmanes desservants. Ces histoires fabuleuses
se récitent en vers, et semblent ne fatiguer que ceux qui les débitent. Sauf
respect pour Homère, ses poèmes, récités â la multitude de la Grèce, devaient
l ’intéresser de la même façon que ces histoires merveilleuses de Brahma et
de Vischnou. Les Grecs et les Romains n’avaient d’autres théologiens que
leurs poètes.
Ailleurs, la foule se rassemblait autour d’un Faquir de renom qui chantait
des paraphrases poétiques à la louange des susdits Brahma, Vischnou et G ' ;
c’était aux approches du soir. Les rues, si étroites, étaient encombrées de la
multitude des passants.
Bénarès,, ou mieux encore Bénâroeusse, ou en anglais, comme l’écrit
M. James Prinsep, Bunarus, malgré son antiquité, ne possède pas d’édifices
très-anciens; à peine y reste-t-il quelques pagodes antérieures au temps d’Aurengzeb.
Ce prince renversa tous les édifices- du temple hindou, et, sur les
ruines du plus célèbre, il éleva une Mosquée : c’est celle dont les deux minarets
dominent toute la ville. L’élévation de leur base au-dessus des eaux du
Gange dont elle est très-voisine, les fait paraître bien plus hauts qu’ils ne sont
réellement. Monté à leur sommet, je fus bien surpris d’apprendre de M. J. Prinsep
qu’ils n’avaient que 43“,o de hauteur.
Mais leur diamètre nes t que de 2 " ,i, et leur forme prismatique les fait
paraître encore plus effilés. L u n d’eux, en ruine depuis bien des années,
menaçait d écraser de sa chute les maisons d’alentour; depuis longtemps personne
n avait osé y monter pour aviser aux moyens de le démolir sans danger,
quand M. J. Prinsep entreprit, non de le démolir, mais de le réparer. Il éleva
TROISIÈME PARTIE. ■ 349
une charpente tout autour, en visita toutes les parties, rassembla celles prêtes
à se séparer, et la Mosquée d’Aurengzeb n’est plus menacée d’être boiteuse;
cependant elle ne durera pas assez pour être une antiquité. Elle a été bâtie
avec précipitation et sans solidité. Le minaret de M. J. Prinsep n’est pas droit,
son sommet penche de o“,3 sur sa base, et il n’a que 2”, 1 de diamètre.
Du haut de cet observatoire, Bénarès a un air plus substantial, dirais-je
en anglais, qu’aucune ville européenne. Cette apparence tient à l’absence de
places et de jardins dans son intérieur : le seul espace ouvert que l’on y distingue
est le bazar de M. J. Prinsep.
Nous descendîmes de là aux Ghauts : Ghaut, en hindoustani, signifie très-gé-
nériquement passage. Il exprime à la fois le pass et le ferry des Anglais ; mais
son acception la plus commune ne peut se traduire dans les langues d’Europe,
parce que nous n’avons pas l’objet qu’il désigne le plus souvent. Ce
sont des degrés en maçonnerie, à Calcutta en briques, ici en belles pierres,
qui descendent au bord du fleuve jusque sous ses eaux les plus basses. On
compte ceux de Calcutta ; mais à Bénarès, où le Gange est partout très-profond
près du b o rd , les dévots hindous se noiéraient par centaines tous les
matins, s’ils n’avaient pas ces marches solides pour entrer dans l’eau; et la
piété et l’orgueil en ont couvert la rive du fleuve. Les gens riches ont, entre
ces populeux parterres de baigneurs et de baigneuses, des loges grillées où ils
descendent de leur palanquin dans l’eau courante. C’est une des propriétés
les plus aristocratiques que l’on puisse avoir à Bénarès.
Quelques Ghauts fort étroits mènent aux places où l’on brûle les morts.
A Calcutta, pays sans religion ( où les vivants se brûlaient en bien plus grand
nombre cependant, qu’en aucune autre partie de l’Inde ) , on les flambe à peine,
et l’on pousse à l’eau leurs cadavres roussis. A Bénarès, malgré la cherté du
bois, on leur fait un tel feu, que leurs ossements seuls, noircis, sont jetés
dans le fleuve. Les SuLtis , que voici enfin abolis par un ordre tardif du Gouvernement,
étaient rares à Bénarès, où un grand nombre de Pundits en blâmaient
la pratique. Ici, ce sont les hommes et non les femmes qui, pour
arriver plus vite dans l’autre monde, sortent brusquement de celui-ci. Ils
montent d’abord à la mosquée d’Aurengzeb, et du haut d’un des minarets
se jettent sur le pavé.
Quelques temples, submergés à demi chaque été dans les grandes eaux,
descendent aux bords du fleuve entre les Ghauts. C’est autour d’eux que se
tiennent les plus hideux Faquirs de l’Inde. Condamnant un de leurs membres
à l’inaction, ils le réduisent, en une dizaine d’années, à l’état de squelette. Le