
Malgré la différence des climats, des lois particulières qui lès régissent, malgré
la diversité, quelquefois même l’opposition de leurs intérêts commerciaux,
une paix profonde règne depuis cinquante ans entre tous les États de cette glorieuse
fédération. Accrus du double déjà depuis le jour de leur indépendance,
ils peuvent se multiplier encore, tant par l’admission d’États nouveaux dans
leur alliance, que parla subdivision des vastes territoires de quelques-uns des
Etats primitifs de 1 Union , et cette division peut être portée bien loin. Chaque
État actuel peut se partager en une multitude d’États indépendants les uns d'ës
autres, hors des liens généraux de la grande union fédérale ; chaque district,
chaque canton, chaque commune, peut former une petite république ; partout
1 ordre, la paix, la police, le travail continueront d’exister. C’est que les
éléments en existent partout chez ce peuple vraiment civilisé; c’est qu’il n’y a
pas de citoyen américain, né, élevé aux États-Unis, quelle que soit sa condition,
qui n’ait reçu une éducation suffisante pour lui faire apprendre ses vrais intérêts,
et qui ne sache parfaitement les moyens constitutionnels de les défendre
et de les faire prévaloir quelquefois dans la collision des intérêts de tous.
Montesquieu ne connaissait pas la République représentative ; cette forme de
Gouvernement n’a été inventée que depuis lui. C’ë'st pour cela sûrement qu’il
a dit que le principe des Républiques était le dévouement des citoyens à la
chose publique, et l’abnégàtion de leurs intérêts personnels. Sans rechercher
jusqu’à quel point cette assertion est fondée quant aux Républiques anciennfesf,
il me suffit de dire qu elle est exactement le contraire de la vérité quant aux
Républiques modernes, je veux dire les représentatives. Ce qui fait l’ordre et
la paix intérieure des États-Unis, ce qui y rend impossible toute usurpation
des droits des citoyens, ce qui y maintient la liberté en un mot, c’est la connaissance
que chacun a de ses droits et l’amour de son bien-être personnel.
Chacun prend sa part des bienfaits de l’association politique dont il est membre.
Quelques-uns sans doute cherchent à emporter quelque chose au-delà de cette
légitime mesure ; mais autour d’eux, trop d’yeux clairvoyants sont ouverts ;
chacun veille à la garde de ses propres intérêts, les défend avec adresse et
subtilité contre les empiétements dissimulés de la ruse, et repousse par la force,
assisté de tous ses voisins honnêtes gens, les attaques de la violence. Les dupes
manquent aux États-Unis pour la gloire et la fortune des fripons politiques,
que l’Europe appelle des grands hommes, quand ils ont eu le bonheur de
n’être pas pendus au début de leur carrière. Il n’y a pas d’abnégation de sôi-
même dans cette sage conduite des citoyens américains. Leur République va
pourtant, malgré Montesquieu.
Chaque variété de l’espèce humaine a ses “goûts, ses penchants, ses aptitudes
propres ; et dans chaque variété, chaque peuple se distingue aussi des
autres par quelques, traits plus ou moins marqués, plus ou moins mobiles de
son, organisation physique. Ces différences en entrainent de correspondantes
dans les dispositions morales et intellectuelles qui se transmettent avec elles
par la génération, et se perpétuent par l’exemple des habitudes de tous genres
et celui du système entier des moeurs domestiques que les enfants imitent de
leurs pères. C’est ainsi que naissent et se développent les caractères nationaux,
les moeurs nationales.
On a cherché souvent à les peindre. L’opposition de caractères nationaux
fortement prononcés a été souvent exploitée par les romanciers, qui ont
cherché à produire par elle des effets pittoresques et dramatiques ; mais
presque tous n’ont fait que de fades caricatures, sans vérité ni vraisemblance.
Les romans d’ailleurs sont écrits par des gens et pour des gens qui font
consister en quelques milliers de familles de leur rang, la nation à laquelle
ils appartiennent. Faiseurs et lecteurs de romans ne savent pas encore que
la nation, c’est le peuple. C’est le peuple qui a des moeurs nationales; le
peuple, dans l’acception méprisante de ceux qui ont la singulière prétention
de n’en pas faire partie. La classe dite élevée, e’est-à-dire la classe riche,
est toujours infiniment peu nombreuse dans la population générale d’un pays.
Numériquement, à peine l’y aperçoit-on; elle est de toutes, celle qui a le
moins de nationalité distincte; d’un bout de l’Europe à l’autre, elle se copie;
elle voyage, et perd en voyageant son empreinte nationale, dont elle altère
même quelquefois profondément le type en se mêlant dans ses alliances.
Aux esquisse^ individuelles et presque toujours fantastiques des romanciers,
la statistique vient enfin substituer des faits dont la généralité est l’expression
des- divers traits des caractères nationaux. Cette partie de la statistique qui jette
tant de jour sur les dispositions morales et les facultés intellectuelles des peuples,
n’est que l’observation morale vulgaire, mais soigneusement enregistrée, comparée
avec critique dans ses résultats, et discutée dans le principe des faits
qu elle a reconnus.
Les mouvements de la population d’un pays dans un autre sont une indication
précieuse à recueillir. Ainsi, l’on remarque que parmi les émigrants britanniques
aux Etats-Unis, les Ecossais, qui sont les moins nombreux, sont ceux qui
arrivent avec plus de prétentions à. se faire une place aisée dans leur nouvelle
patrie, et qu’ils y réussissent mieux que les Anglais : ceux-ci se contentent
presque tous du salaire, assez élevé il est vrai, accordé aux travaux mécaniques