
rendez-t o u s sur notre passage; l’officier européen qui commande les 3o Ci-
payes (car il n y en a pas un de plus), commandait le poste d’honneur placé
devant le mat de pavillon, et les soukdars de Chandernagor avaient empêché
le peuple de couvrir le gauht par où nous devions descendre. M. Cordier
donna la main à lady William pour entrer dans le bateau, et l ’on eut peine
à 1 empecher de sortir de ses États pour la conduire jusqu’au yacht. En un
instant nous y fumes rendus, et le bateau à vapeur nous emmena aussitôt
avec sa vitesse ordinaire et celle de la mer descendante. Je vis de loin l’excellent
M. Cordier s en retourner lentement chez lu i, tournant souvent ses
yeux vers le brillant météore qui disparaissait rapidement : ses soukdars
avaient peine à lui faire faire place au milieu de l’admiration redoublée de
son peuple.
Au bout du monde, Chandernagor rappelle la France ; le peu que nous
en vîmes, le quai et les rùes qui viennent y aboutir, sont habituellement
déserts, car lherbe y pousse partout ; point de traces de voitures; point de
magasins; les palanquins, qui sont à Calcutta la ressource des plus pauvres,
ont l’air d’y être rares; pas de mouvement, pas de vie. Celle des grandes
villes de commerce est si bruyante qu’elle me déplaît, et le silence qui règne;
dans les beux dont la prospérité est stationnaire ou décroissante, a quelque
chose de triste, mais de noble et de touchant.
Un peu au-dessous de Chandernagor, et sur la rive droite du Gange pareillement,
on voit au milieu des jungles élevés, les ruines de l’ancienne
demeure du Gouverneur de Chandernagor. l l y a aussi de ce côté un gros
village habité seulement par de pauvres Indiens. Cette rive est constamment
plus élevée que l’autre, et elle parait plus sauvage quoique plus fertile. Aux
Palmiers près, dont trois espèces sont ici très-communes', le Cocotier, le
Dattier et le Latanier, les bords de l ’Hougli ressemblent aux descriptions du
Mississipi dans la partie inférieure de son cours.
On aperçoit de distance en distance des pagodes et des gauhts. Les pagodes
sont presque toutes sur le même modèle: c’est un petit temple carré, à
toit p la t, avec six chapelles de chaque côté. C’est souvent devant elles que
sont bâtis les Gauhts ou degrés par où les Hindous descendent jusqu’au
bord de la rivière pour y faire leurs ablutions. Au sommet de ces degrés,
il y a souvent, au lieu d u n temple, une place qui sert a brûler les cadavres
des gens qui ont le moyen de payer un si grand honneur. A peine roussis,
car les brahmes ne leur donnent pas du bois pour leur argent, ils n’ont qu’un
saut à faire pour tomber dans le fleuve sacré. Les corbeaux et les poissons
ne ’les y laissent pas pourrir long-temps.
Pour ne pas faire de jaloux sans doute, lord William voulut, avant de rentrer
chez lu i , faire aussi une visite au Gouverneur de Sérampour. Nous savions
tout juste son nom ; mais on disait que c’était un homme fort distingué. Nous
mouillâmes donc vis-à-vis la plus belle maison de la ville, pensant que ce serait
la sienne , et M. deTIézéta, accompagné de plusieurs autres, descendit d’abord
pour s’informer s’il était chez lui. Il paraît qu’il produisit chez M. Hohlemberg
le même effet terrible qu’avait causé mon arrivée chez M. Cordier. Long-temps
nous attendîmes sans rien voir venir. Enfin notre ambassadeur revint, comme
j ’étais revenu, grossi du Gouverneur, qui voulait aussi s opposer à ce que
lady William descendît, alléguant la distance et l’heure. Il était complètement
étourdi de ce coup inattendu. Nous descendîmes tous, et, suivant le même
ordre que dans notre première expédition, nous nous rendîmes à pied au
Gouvernement, entourant le Tom Jones de lady William, que M. Hohlemberg
escortait de plus près.
A Sérampour il y a du travail ; la population n’est p a s, comme celle de
Chandernagor, vacante au premier bruit, au moindre événement; notre succès,
quoique grand, n’y fut pas si populaire.
Les forces du roi de Danemark dans le Bengale me paraissent inférieures
à celles du roideFrance; mais leur tenue n’est pas moins belle, et leur musique
, qui est à proprement parler le côté faible de la garnison de Chandernagor,
est beaucoup plus brillante. Dans la cour de l’hôtel du Gouvernement,
où de jolis ânes paissent l’herbe en liberté, nous trouvâmes la garde sous
les armes, commandée par un Soubadar de bonne mine, tambours et fifres en
tête : on présenta les armes , et l’on battit aux champs quand nous passâmes.
La maison de madame Hohlemberg ne semble pas plus magnifique que celle
de madame Cordier ; la maîtresse:, de même que son mari, parle très-bien anglais,
français et allemand, et elle a, commelui, l’air tout à fait distingué. Le
jour qui baissait ne nous permit pas de leur faire une longue visite.
Sérampour est encore plus petit, s’il est possible, que Chandernagor, car
il n’y a pas un pouce de territoire danois autour de la v ille , tandis que les
possessions du roi de France s’étendent, à un demi-mille (un cinquième de lieue
environ) de Chandernagor dans certaines directions; mais il y a quelque industrie,
quelque commerce. C’est un nid de missionnaires-anabaptistes, venus
de l’Allemagne, de l’Angleterre et des États-Unis. Du produit des souscriptions
faites pour la propagation du christianisme, ils ont bâti un superbe collège où
ils donnent commodément la parole de Dieu. Autour de ce noble édifice s’élèvent
quelques bonnes et grandes maisons où demeurent messieurs les apôtres : ils se
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