
rien, sinon que le Collecteur, Belly Saheb, désirait savoir d’où je venais et
où j ’allais; je compris cependant encore qu’il y avait un couvert pour moi
chez lui à diner. A ceci je répondis avec mon passe-port, lequel me fut bientôt
rapporté en grande cérémonie, le messager étant suivi cette fois du maître
d’hôtel du Collecteur, et d’une demi-douzaine de cuisiniers, pour aider mes
gens à faire mon dîner, si je persistais à ne pas accepter celui du Collecteur;
d’autres apportaient des meubles, des tables, des chaises,, pour m installer
commodément dans le bungalow, dont les chambres sont fo r t .propres, mais
absolument nues. C’était bien le moins que de remercier par un mot de politesse
, et le fis-je. M. Belly renchérissant d’obligeance dans sa réponse, je crus
devoir une visite, et je la fis. Je rencontrai dans le jardin un petit homme
maigre, à teint plombé, de chétive apparence, peu complimenteur, qui me
laissa maître de manger seul insociablement, après que j ’eus refusé, sous de
bons prétextes d’ailleurs, le plaisir de partager son dîner. J’acceptai le nécessaire
seulement, ou plutôt l ’u tile, une table, une chaise, et un de ses pions armés
pour me servir de guide et de porte-respect (un Tchouprassi) jusqu’à Burdwan.
Nous nous quittâmes comme des gens de connaissance froide, mais bienveillante,
après quelques minutes d’entretien sur mon voyage.
Depuis 3 jours le beau temps avait cessé. Le ciel, couvert par intervalles,
menaçait Sans cesse de la pluie, et il en était tombé quelques gouttes dans
l’après-midi. Aujourd’h u i, c’était une forte averse que je devais redouter, et
puisque je l’avais échappée dans le jour, je devais 1 attendre dans la nuit.
Avant de me mettre à table, mes chars furent donc déchargés, et mon bagage
mis à l’abri sous les varangues. Alors je commençai à dîner, et la pluie
à tomber.
J’eus plus tôt fini qu’elle ; fort satisfait d’ailleurs du coup d’essai de mon
cuisinier. Il y a tout à gagner à mon système de frugalité : santé et temps,
sans parler de l’économie. Le seul moyen que je connaisse de ne pas trop
manger, c’est d’avoir un mauvais diner, mauvais sans diversité;O 7 ' la satiété naît
aussitôt que la faim est satisfaite. Un sommeil léger suit toujours un repas
médiocre ; le lendemain on s’éveille de bonne heure, la tête fraîche, les idées
claires, la bouche propre. Les Anglais connaissent peu l’agréable sensation
d’un semblable réveil.
Le a3 novembre 1829. — A Poeuloua (U jy j ) * ® cos* ( ® I 1. ) d’Hougli.
A l’heure marquée pour le départ, pluie battante, le ciel est couvert de
toutes parts ; point de lune, quoiqu’il doive y en avoir : il faut attendre. A
7 heures cependant, le temps s’étant un peu éclairci, je fais charger les
voitures et partir tout mon monde : le Saïsse seul demeure, et l’homme qui
porte mon fusil. A j 9 heures, je monte à cheval pour rejoindre la bande.
Le chemin, tant qu’il suit les bords du fleuve; est charmant ; quelques bouquets
de jungles bien épais sont jetés çà et là , qui séparent de petits hameaux
entourés de jardins bien cultivés. Profusion de Palmiers. Les Cocotiers, plantés
partout, sont superbes. A a cosses ( 15 lieue) dTIoügli, au sommet d’un monticule
élevé de main d’homme, est une ruine assez belle ; ce sont les restes
d’un temple hindou. Le chemin passe entre elle et une construction massive
et bizarre qui ressemble à un tombeau musulman.
A quelques centaines de pas, au bas d’un village dont la position paraît
élevée, je traversai sur un pont nouveau un sinus de l’Hougli. Il se détache,
tout près de l à , de la grande rivière, pour y rentrer au dessous de Calcutta.
A marée basse; il est presque à sec.
C’est là que je cessai de marcher au nord le long des bords du fleuve.
Je tournai à l’ouest, et avant que d’être entré dans la contrée nouvelle où
je m’avançais, en jetant seulement les yeux vers e lle , quand j’eus laissé
derrière moi la bordure non interrompue de cocotiers, d’habitations et de
pagodes de cette rive de l’Hougli, je me crus transporté subitement en des
lieux bien éloignés. De vastes plaines s’ouvraient devant moi, nues si je les
compare, aux environs de Calcutta, à peine vertes si je rapproche de leur
teinte jaunissante la couleur admirable des campagnes de Garden-Reach pendant
la saison des pluies. C’étaient des Rizières, dont les chaumes flétris,
versés sous les dernières pluies d’octobre, mûrissaient leurs épis penchés sur
la boue; c’étaient de vastes espaces de terres vagues, couvertes du plus maigre
gâzon; gardés par des malheureux qui n’avaient pour tout vêtement quune
ceinture, tandis que je boutonnais une veste de toile par dessus deux chemises
de flanelle, des bestiaux affamés étaient censés paître sur cette lande
stérile, attendant, d’un air découragé, que l’herbe poussât pour la brouter ;
quelques a'rbres rabougris étaient épars dans cette campagne monotone, tantôt
un Mimose, tantôt un chétif Dattier, le chardon des arbres. A l horizon, des
massifs élevls, mais d’une teinte sévère; quoiqu’en approchant je n y trouve
que des formes végétales propres aux tropiques, de loin on dirait des arbres
d’Eqrope. Il n’y a plus de cocotiers; les seuls Palmiers qui épanouissent leur
noble gerbe au dessus des autres arbres, sont des Borassus fla b e llifo rm is u ),
mais leur cime est lourde, elle est trop arrondie ; de loin, pour de mauvais yeux,