
lèvres très-épaisses, les dents saillantes; mais il est également vrai qu’il y en a
dont la tête a la forme dés têtes européennes, dont les yeux sont peu ouverts,
bridés, le nez aquilin et épaté tout à la fois, au lieu d’être camard, les lèvres
fortes seulement, les dents droites, et la mâchoire ni plus avancée ni plus grande
que celle des Européens. Il y en a qui ont un peu de barbe et d’autres qui en
sont absolument dépourvus. Quelques individus, quelques nations peut-être,
ont le calcaneum très-saillant en arrière, tandis que d’autres ont le pied semblable
au pied des Européens, si ce n’est qu’il est élargi par l’habitude de marcher
sans chaussure.
Il serait très-facile à un habitant de Rio-Janeiro de savoir par les capitaines
des bâtiments négriers et par les traitants brésiliens qu’ils ramènent souvent
de la côte d’Afrique, de quels lieux précis du littoral viennent leurs cargaisons.
Ces hommes connaissent les races diverses de Nègres aussi bien que les maquignons
les plus exercés distinguent les races de chevaux. L’anthropologie aurait
beaucoup à apprendre de leurs dépositions. Les traitants surtout, qui vont
souvent dans l’intérieur des terres pour négocier, avec les chefs des peuplades
nègres, des traites d’esclaves, et dont l’abominable profession exige assurément
beaucoup de sagacité, possèdent, sur l’état intérieur, sur le régime .social de
ces misérables peuplades, une foule de connaissances ignorées de l’Europe
lettrée. Un voyageur qui se dévouerait à la périlleuse exploration du continent
africain, devrait donc commencer par acquérir tous ces renseignements. C’est
de Rio-Janeiro, ou de tout autre lieu de l’Amérique où la traite se fait sur
une grande échelle, qu’il devrait partir pour commencer son expédition, et il
devrait l’y avoir préparée longuement par la fréquentation assidue des traitants,
par l’étude préalable des diverses races de Nègres esclaves qu’il y aurait vues,
et par l’acquisition de leurs idiomes. Un vieux traitant expérimenté serait le
plus utile compagnon de voyage qu’il pourrait se donner.
Comme les Noirs se vendent plus cher que les Négresses, on en importe
davantage. La population esclave mâle surpasse ainsi numériquement la population
femelle. En sorte que si la traite était réellement abolie, quelque humain
que fût le régime de l’esclavage, quelque favorable qu’il pût être à la multiplication
des esclaves, le nombre de ceux-ci décroîtrait d’abord rapidement.
Cette disproportion entre les sexes se retrouve dans toutes les colonies ; elle
existait à Haïti, à l’époque de la révolution. C’est pourquoi la diminution de la
population de cette île ( si tant est que sa population fût bien connue autrefois
sous le régime colonial, et qu’elle le soit à présent) ne prouve rien, ou du
moins ne suffit pas à prouver la décadence et le dépérissement de cette nouvelle
société. Il faut d’abord que cette population, composée artificiellement d’un
nombre très-inégal de Noirs et de Négresses, soit ramenée par les décès naturels
aux rapports que la nature établit entre les deux sexes ; les premières naissances
ne peuvent être d’abord que proportionnelles au nombre des femelles, la
multitude des mâles n’y sert de rien et doit s’éteindre sans se reproduire. Cet
effet doit être consommé maintenant en Haïti ; et c’est d’à présent seulement
qu’on doit noter la marche progressive ou rétrograde de la population, pour
juger de celle du travail et de la richesse dans ce pays.
La confusion et le désordre qui régnent perpétuellement dans cette grande
ville de Rio, cachent quelques-unes des faces les plus hideuses de l’esclavage.
Un assez grand nombre de Noirs et de Gens de couleur sont libres ; ces
Affranchis ont tous les droits politiques ; et s’ils n’en jouissent pas, c’est leur
propre insouciance plutôt que l’orgueil des Blancs qui les en exclut. Il y en a
de riches. Beaucoup se maintiennent, par les profits d’un petit commerce,
dans une position aisée. Enfin il y en a que l’inconduite, l’ivrognerie surtout,
retiennent sans cesse dans la misère; ceux-là errent par les rues comme les
esclaves, dont il est difficile de les distinguer. La fortune d’un grand nombre
de ces Métis, ou de ces Noirs affranchis, consiste dans la possession de deux ou
trois Noirs qu’ils mettent le matin à la porte de chez eux, à jeun, et dont ils
exigent le soir à leur retour une demi-piastre, pour prix de la liberté qu’ils
leur ont laissée d’exercer tout le jour leur industrie comme ils l’ont pu ou voulu.
La ville s’emplit ainsi tous les matins de vagabonds affamés, prêts à exercer
toutes sortes de métiers sans en savoir aucun. La faim et la crainte des châtiments
qui les attendent, le soir à leur retour chez leur maître, quand ils n’ont pas
gagné une demi-piastre à lui donner, les placent bien souvent près du crime.
Beaucoup s’emploient aux travaux du port, ils chargent et déchargent des
bâtiments, et transportent les marchandises par la ville. D’autres portent l’eau
dans les maisons. La plupart travaillent ainsi séparément. Il n’y a que ceux qui
sont employés en bandes nombreuses à de certains travaux, dans de grands
ateliers, ou à des transports considérables pour le compte du même maître,
qui soient surveillés et frappés par des conducteurs. Ces violences sont rares ;
j’ai été rarement affligé de leur spectacle. Mais c’est assez pour attrister l ame
profondément, pour la navrer, que celui de cette nudité, de ce dénûment, de
cet abrutissement d’êtres humains.
Malgré le grand nombre, qui existe déjà, d’hommes de couleur libres (et les
dangers dont ils menacent, dans mon opinion, la population blanche du Brésil ),
la loi ne met aucun obstacle à l’affranchissement des esclaves. Le grand nombre o