
pecte, ce qu’il vénère par-dessus tout , ce sont ses Brahmanes. Ils ne sont pas
seulement nobles à ses y eu x , ils sont presque saints.
Bénarès, Bénarès la ville des Brahmanes, est la ville savante, noble, sacrée;
car la science, en ce pays, c’est la religion : elle est l’exclusive possession de
ses ministres. Dans les affections des peuples de l’Inde, Bénarès en est la
capitale.
Dehli, A gra, et quelques autres villes anciennes du nord, grandes jadis et
florissantes, partagent encore avec Bénarès ce prestige de puissance sur l’imagination
dés peuples. La guerre n’y a laissé que des souvenirs de grandeur et
de puissance ; mais ce culte du passé a plus d’adorateurs parmi les Indiens
que celui de la domination nouvelle qui, de Calcutta, règne sans contradiction
sur tout ,1e reste de l’Inde.
Le Gouvërnement anglais ne serait pas plus fort matériellement, si depuis
60 ans il eût établi son chef-lieu dans une de ces grandes villes du nord : mais
les souvenirs vénérés de la puissance souveraine exercée5 long-temps dans ces
villes, auraient fait rejaillir du respect sur son pouvoir nouveau ; bomme autrefois
les conquérants musulmans, en s’asseyant sur le trône même d’où ils
avaient précipité les princes indiens, leur succédèrent, non seulement dans
la force matérielle, mais dans une partie de leur influence morale.
Calcutta, le 7 juin.
C o l l è g e a n g l o - in d i e n . M. R o s s , long-temps directeur de minés de cuivre
en Cornouailles, et depuis quelques années chef de la monnaie de Calcutta,
devait me montrer aujourd’hui cette institution où l’appelaient ses devoirs de
professeur. Il y donne, deux fois la semaine, des leçons de chimie.
Cet établissement est entretenu aux frais du Gouvernement, ét par les souscriptions
volontaires des Anglais, des Natifs, et par la redevance annuèlle
qu’acquittent les parents de beaucoup d’écoliers qui le fréquentent.
Ils sont tous Hindous, sans acception de castes; tous mêlés ensemble sahs
distinction, sur les bancs, dans leurs jeux ; ils ne cherchent pas à se séparer.
Je les ai vus à l’étude et hors de l'étude, et il m’a semblé reconnaître entre
eux cette aisance et cette camaraderie fraternelle qui existe dans les collèges
de la France, fondée sur le sentiment de l’égalité.
Je voyais cependant au cou d’un grand nombre de ces enfants et de ces
jeunes gens le signe de la haute dignité de leurs familles, le cordon brahmanique.
M. Ross, leur maître, fut reçu par eux avec des démonstrations bruyantes
de respect, que peut-être des subalternes leur ont apprises, mais auxquelles
se mêlait l’expression d’une joie affectueuse. Dans la confusion de ces voix,
je distinguais plus de Gooa morning sir! que de houras.
L ’amphithéâtre de chimie est «me grande et belle chambre dont le milieu
est occupé par une longue tablç assez large, à l’extrémité de laquelle le professeur
s’assied , et sur laquelle il fait ses expériences. Tout autour est un
banc commode, avec un dossier et un marchepied pour les écoliers. Un
Punka les évente ainsi que leur maître.
1$ chambre se remplit peu à peu, tandis que M. Ross préparait les expériences
très-simples qu'il se proposait de faire dans sa leçon. Ses auditeurs,
au nombre de 4o, étaient des jeunes gens de 15 à 18 ans; quelques-uns taraient
passé cet âgeB-Tous vêtus à l’indienne, sans aucune concession faite au costume
çuropéen.—Ils ont raison, le leur est plus commode.—Quelques-uns fort propres,
mais aucun magnifique, ni très-safe.— Beaucoup d’égalité entre eux à cet égard.
M. Ross m’en présenta un qu’il me dit être le plus habile mathématicien dé
sa classe. Je lui demandai ce qu’il savait, et comprenant fort bien mon anglais
passable, il me répondit en anglais beaucoup meilleur, qu’il savait l’arithmétique,
l’algèbre jusqu’aux équations du 3* degré, et les cinq premiers livres
de hûgéométrie d’Euclide. — Son âge ?— Seize .ans; — J’allais lui faire quelques
questions d’application pratique', mais M. Ross commença et je me tus. Il
était souvent obligé d’interrompre sa familière causerie chimique pour faire
ses expériences. Dans ces délai®, l’attention des auditeurs était évidemment
ailleurs. Tous gardaient un maintien aisé et décent, mais très-peu manifestaient
cette ardeur (Hagerness-)■ dont on m’avàit parlé.
De-ces 4o jeunes gens, plus de la moitié avaient de belles figures, presque
tous de très-belles mains.— Peu de laids, et pas une plate figure. La teinte de
leur ’peau. quoiquë assez variée, était cependant remarquablement uniforme
pour‘Calcutta, où les différences de couleur sont si grandes. La plupart avaient
les cheveux longs. Comme il y a presque toujours quelque mouvement dans
ces eliOveux longs, ils forment une coiffure qui n'est dépourvue ni de grâce ni
dé noblesse ; je preîèrei cependant les cheveux courts et tout-à-fait à l’européenne
de quelques-uns. Drapés plutôt que couverts d'une mousseline grossière
mais moelleuse, bordée d’une bande roseï ou violette, plusieurs d’entre
eux, par l’élégance naturelle de leurs poses et de leurs gestes, me rappelaient
des statues grecques. Identité de costume, de traits et d’attitudes. Je
suis persuadé que ces jeunes gens-là, chez eux , s’asseient et ne s’accroupissent
pas. Ils s’asseient avec trop de grâce.
I. ao