
parlant par le titre de Majesté, le pria de me permettre d’approcher de ses
pieds. C’est l'étiquette. Un signe de tête fut la réponse du prince, M. Metcalfe
se retira vers moi, marchant à reculons et répéta le triple salam
en me rejoignant. Je m’avançai alors comme il avait fa it , tenant à la
main deux roupies d’or ( la roupie d’or vaut environ 3q fr.) dans un mouchoir
blanc, et les offris à l'empereur,, qui les prit de sa main, et me retirai
à reculons, jusqu’au fond de la haie des courtisans, auprès de M. Metcalfe.
Nouvelle triple salve de salams au bout de ce voyage. Le premier
ministre, après avoir reçu à l’oreille quelques mots de l'empereur, nous
rejoignit et m’informa que l’empereur m’accordait un Khélat, ou habillement
d’honneur. C’était chose convenue d’avance et stipulée par M. Metcalfe.
Sortant de la salle d’audience pour l’aller revêtir dans un appartement
voisin, nous fîmes un nouveau salut. Le premier ministre nous accompagna
pour présider à l'habillement; et je fus, comme M. Jourdain, ou plutôt
comme Taddeo, habillé à la turque, non en musique, mais en grande
cérémonie parles gens de l’empereur. M. Metcalfe, d’un air grave, comptait
les pièces de mon habillement dont le nombre mesure la faveur impériale.
Il consistait en une grande robe de chambre de mousseline très-claire,
grossièrement brodée d'or et d’argent, par-dessus laquelle on me fit endosser
une sorte de veste tissue d’or et de coton, sans manches; on plaça
une longue écharpe pareille sur mes épaules, et deux mouchoirs brodés
et frangés d’oripeau autour de mon chapeau, pour en faire un turban.
I j j tout ensemble valait peut-être une des pièces d’or que j ’avais présentées
en Nazzer.
Dans ce grotesque déguisement, je revins en cérémonie devant l’empereur,
marchant entre M. Metcalfe et le premier ministre. Salam en prenant
notre place. Puis je m’avançai vers le Mesned, répétant le salam à moitié
chemin, et offris un nouveau Nazzer de deux pièces d’or, présenté et accepté
comme le premier. Retourné au fond de la salle près de M. Metcalfe
et du premier ministre, celui-ci nous quitta et prit des mains d’un officier
une corbeille de soie qu’il présenta à l ’empereur ; elle contenait deux grosses
fleurs de pierreries fausses. M. Metcalfe me lança de nouveau sur l’empereur
dont j ’approchai avec les mêmes cérémonies que devant, offrant cette
fois, un Nazzer d’une seule pièce d’or, et, après que l’empereur l’eut prise,
je m’inclinai profondément devant lui pour qu’il pût attacher à mon chapeau
turbanisé les deux ornements que le premier ministre lui tenait sous
la main. Retiré près de M. Metcalfe, ma toilette achevée des mains impériales,
après une courte pause, je m’avançai de nouveau vers le Mesned, et
offris à l’héritier présomptif de la couronne, assis par terre sur le tapis à
la gauche de l’empereur, un Nazzer d’une pièce d’or.
Là finissaient les conventions stipulées, par M. Metcalfe. Le premier ministre
vint nous tirer de notre position officielle, et il nous conduisit près
de l’empereur, dans la haie des courtisans, dont M. Metcalfe occupa la première
place à la droite de l’empereur. Je fus placé au-dessous de lu i , immédiatement
au-dessus du commandant de la garde du palais, le capitaine
Grant; les grands dignitaires indiens venaient au-dessous. Le premier ministre
, d’un air très-affairé, chuchota quelques mots à l’oreille de l’un
et de l’autre, puis conduisit près des princes impériaux quelques-uns de
ces figurants de théâtre. M. Metcalfe me laissant causer avee le capitaine
Grant, s’approcha de l’empereur, et échangea quelques phrases avec lui,
l’entretenant d’une réparation qu’il avait ordonnée de faire à la Djuma
Mosjéd, où le vieillard a coutume de faire ses dévotions et qu’il affectionne
particulièrement. Revenu près de moi avec le premier ministre, il
témoigna à celui-ci le désir de se retirer, et sur un signe de l’empereur, la
séance fut levée. Nous sortîmes les premiers de la salle d’audience, avant
que l’empereur fût retiré, et fûmes reconduits par le premier ministre
et un flot de courtisans jusqu’à la porte où nous étions sortis de nos palanquins
et où nous y rentrâmes, M. Metcalfe pour retourner chez lui,
et moi pour accompagner, à la demeure qu’il occupe dans le palais, le capitaine
Grant, qui m’en fit voir l’intérieur.
Les pauses qui succèdent à chacune des petites scènes de cette farce la
font durer une demi-heure environ, que tout récipiendaire emploie, je pense,
comme je le fis, à en considérer attentivement les acteurs et les décorations.
Celles-ci sont lés plus simples. Quelques tapisseries d’écarlate fanées
pendent des arcades ouvertes derrière le Mesned impérial. Dans les grands
jours, on les remplace par de belles tentures de soie, dont la salle tout entière
est fermée lorsque l’occasion d’une grande cérémonie se présente pendant
les mois d’hiver. Ce n’est que dans ces grandes occasions que l’empereur
parait assis sur le fameux trône à la queue de paon, imitation fausse et
grossière de celui que Nadir emporta. Dans les Durbars que l’empereur
tient une ou deux fois par semaine pour recevoir les habitués de sa cour,
ou admettre en sa présence quelque Européen ou quelque natif qui n’est pas
d’un rang excessivement élevé, il est assis sur le simple coussin que j ’ai vu.
Le tapis de ces jours au petit p i e d s u r lequel s’assoient les princes du sang