
ses prières, comptant les grains d’un chapelet. La foule des Hindous et des Musulmans
passait près de sa petite représentation avec indifférence. Je m’arrêtai
pour le considérer : bonne fortune pour lui; car j ’avais une suite nombreuse
de curieux qui s’attachaient à mes pas, me précédant quelquefois pour jouir du
plaisir de me voir en face, avant de repasser par derrière; tous s’arrêtèrent
avec moi. Tous les regards se portèrent avec les miens vers l’officiant, qui, à genoux,
les bras croisés, le menton sur la poitrine, était dans une superbe attitude
de méditation et de prière. Le drôle néanmoins voyait parfaitement
tout ce qui se passait autour de lu i, e t , fatigué de mon examen inqui-
sitif, il se mit à me regarder, comme je le regardais, sans aucune expression
que celle d’une extrême, curiosité et de quelque défiance. Il avait entièrement
oublié sa ferveur: Sa patience à en prolonger l’entr acte lassa la mienne,
et je tournai d’un autre côté. C’était celui .de la prison, qu’on me dit fort
habitée, par des voleurs de grands chemins Surtout. Je passai près d’un grand
Bungalow entouré de soldats et rempli de catégories diverses de natifs,
tous prisonniers : c’est la cour d’Adalut. Le Juge anglais, assisté des notables
natifs, de ceux que mon garde appelle Qmrahs êt Zemindars, juge en dernier
ressort jusqu’à l’application de certaines peines, au delà desquelles, comme
je l’ai dit à Burdwan, il a besoin de l’exequatur du Commissaire. En face de
ce bâtiment flotte, au sommet d’un petit piât, le pavillon de la Compagnie,
et, comme il importe d’environner la justice de l’appareil de la force, un
fortin d’Opéra, une sorte de surtout de dessert, armé de huit canons d’une
demi-livre de balles tout au plus, s’élève en face. La résistance est calculée
sur la puissance de l’attaque.
De là, continuant à faire le tour de la place, j ’arrivai près du Cimetière
musulman. C’est nu et désolé ; mais mon guide, fier des beautés de sa capitale,
me conduisit à celui des Sahebs. Six Européens y ont été enterrés depuis
3o ans. Le plus vieux en avait 4° ; trois 3o exactement, un autre 28, puis
un enfant au berceau, et une pierre sans nom : moyenne fâcheuse. Des paroles
de la Bible sont gravées en lettres d’or sur le marbre noir de l’enfant.
«Laissez les petits enfants approcher de moi; car c’est pour eux qu’est' le
« royaume du c ie l. » Au-dessous de ces mots divins, l’artiste, John P. et C'\ Calcutta,
a gravé, en lettres d’or pareillement, son nom et son adresse. Le mauvais
goût de la douleur des parents méritait cette impertinence du marbrier.
— Rien de si ridicule, je trouve, que la qualité usurpée d'Esquire consacrée
après la mort, sur un marbre funéraire, comme auparavant glissée sur les
cartes de visite. Dans la société, ce mensonge est reçu ; mais y tenir après la
mort, et le dire aux siècles à venir, c’est trop. Notre style lapidaire est plus
simple et plus grave ; il vaut mieux.
La circonstance du jour du marché me fait trouver Schirgotti extrêmement
animé. Aucune place, grande ou petite, ne m’avait montré cette apparence.
Le 22 décembre 1829. — Camp à Monnonpour ( ) J 7 4 cos* ( 4 D* ) de Schirgotti.
Quand on a passé la branche gauche du torrent de Moungur, c’est-à-diré
en sortant de Schirgotti, on entre dans des plaines configurées comme celles
où l’on a marché depuis que l’on est descendu des montagnes, mais où les
jungles ne forment que des bouquets au milieu des campagnes cultivées. On
achève de couper des Riz, dont la paille est entièrement desséchée, et une
partie du grain tombée déjà. Je vois les premiers Silos : on n’y fait pas autant
de façons que M. Ternaux à Saint-Ouen. Pendant qu’une partie de la famille
moissonne, d’autres creusent un trou peu profond de 2m,o à 2m,5, et l’on y
enterre, non le grain battu, mais les épis, que l’on recouvre de terre seulement.
Ge simple procédé mène le grain à bien jusqu’au mois de mai, c’est-à-
dire pendant toute la saison sèche.
Des groupes de chaumières sè montrent de distance en distance dans la
campagne, comme le s fermes en Europe dans les provinces de grande
culture ; point d’arbres autour pour les cacher. On voit la raison suffisante
de la culture. La contrée est ouverte, nue. Des collines de Granité s’élèvent
çà et là, formées d’immenses blocs entassés les uns sur les autres, et couvertes
d’arbres et d’arbrisseaux ; mais elles ne sont plus qu’un accident, qu’une
exception, tandis qu’elles étaient la règle sur le plateau, où de petites plaines
étaient au contraire un accident assez rare.
Du Blé, des Légumineuses diverses, un Lathyrus, un Ervum et du Colza,
qu’on appelle du même nom que la Moutarde ( ) Seurson, du Sésame,
du Ricin, font diversion à la monotonie des rizières. La proportion dés plantes
à huile dans la culture est singulièrement grande. Je fais la même remarque
depuis Rogonatpour.
Amoss (^Jj), à 8 mil. ( 2 i 1. ) de Schirgotti, est un joli village à voir du
chemin, dont il est fort voisin. Il appartient, me disent mes sipahis, à un
Nawâb musulman ; ils veulent dire sans doute un Zemindar ou un Omrah.
Cependant, mon gîte du soir, Monnonpour, est la capitale des Etats d’un
petit Rajah qui demeure à 2 lieues, dans une maison en pierre, et entretient
six éléphants, une trentaine de chevaux et une douzaine de chameaux.
Pour n’être qu’un village, la capitale de ce prince est un joli endroit. Je
4o.