
soldats reculèrent de terreur et d’admiration, quand le héros mourant se
leva au milieu deux. Mais 1 infâme Shamer, Shamer l’exécration des fidèles,
leur reprocha leur lâcheté ; et le petit-fils de Mahomet tomba percé de trente
coups de lance. Ses meurtriers marchèrent sur son corps, et ils en séparèrent
la tête qu ils portèrent à la forteresse de Cufa. Le féroce Obeidollah frappa
de son bâton cette bouche sans vie. « Hélas! s’écria un vieux Musulman, témoin
de cette barbarie, sur ces lèvres j ’ai vu jadis les lèvres de l’apôtre de Dieu (i). »
C était hier l’anniversaire de la mort d’Hosein. Les Pèlerins Persans célèbrent
ce jour près du tombeau du martyr, et là, ils se livrent à l’expression
du plus violent désespoir. Ce jour est une des grandes fêtes religieuses des
Musulmans de la secte d’Ali. Un riche banquier Persan de Calcutta, Agà
Kabouleï Mohammed, la faisait célébrer avec pompe dans sa propre maison.
M. Pearson me proposa de voir cette pièce nouvelle de dévotion; il écrivit
quelques mots à l’Aga pour lui dire qu’il désirait assister à la cérémonie du
lendemain; et hier soir, à dix heures, nous montâmes en voiture pour nous
y rendre. Dans une visite à un natif, on se fait toujours accompagner de
tous les Silver-sticks qu’on a le droit d’entretenir. C’était un des signes de la
souveraineté jadis; il est resté celui de la puissance. Une quantité prodigieuse
de lumières et un grand concours de peuple nous annoncèrent de loin la
maison de l’Aga. Nos chevaux ne purent avancer que lentement dans une rue
étroite, obstruée par la foule ; les Silver-sticks cependant faisaient merveille.
Arrivés devant la porte, nous trouvâmes le maître de la maison qui nous y
attendait pour nous recevoir; il n’entend pas un mot d’anglaisf -cela n’empêcha
pas M. Pearson de nous introduire réciproquement l’un à l’autre : il nous
prit la main à tous, sans excepter Mme Pearson et sa fille , et nous la serra
rudement à la façon anglaise. Je donnais le bras à Mme,Pearson, et ouvrais
conséquemment la marche que fermait M. Pearson avec sa fille ; l’Aga marchait
devant nous pour nous faire faire place dans l’escalier, mais nos Silver-
sticks nous servirent encore en bas. Grâce à eux, nous pûmes monter sans
embarras, et toutes les têtes s’inclinaient profondément à notçe passage, i
La maison dAga Kabouleï Mohammed est, comme celles des Espagnols à
Tenériffe, des Romains à Pompéia, et des riches Hindous à Pondichéry,
composée dune grande,cour carrée, entourée de deux étages de petits appartements
s ouvrant tous sur une galerie couverte qui donne sur cette cour.
On peut au besoin tendre, au dessus de cette cour, une toile immense, et
(i) Gibbon decline and Jail, etc., chap. 5o.
la convertir ainsi en une salle fort élégante. C’est ce que l’Aga avait fait faire.
Les nombreuses colonnes qui supportent la galerie étaient cachées par des verres
de couleur disposés avec plus de profusion que de g o û t, et comme s i , dans
l’architecture tourmentée de l’Inde, il n’y avait pas assez de corniches, d’angles,
de ressauts à éclairer, on avait élevé au milieu de la cour une sorte d’if immense,
chargé de lumières, qui ressemblait à un obélisque en feu.
Nous trouvâmes dans la galerie quelques Européens assis devant l’entrée
de la pièce où se lisaient les prières; c’étaient des négociants et l’homme de
loi d e l’Aga. La place d’honneur qu’ils occupaient n’était pas encore assez belle
pour l’Avocat-général, ce n’était proprement qu’une première loge en face
du théâtre ; l’Aga nous mena sur l’avant-scène, où nous fûmes assiégés par
une armée de serviteurs agitant des punkas, ou chargés de plateaux couverts
de tasses de café et de verres de sorbets.
La scène était une chambre assez grande, oblongue, dont les murs étaient
cachés par des glaces de toutes grandeurs, et le plafond par des lustres de
toutes espèces. L’illumination en était extrêmement brillante. Au fond, une
sorte de chaire était dressée; c’était un simple coussin où l’on montait par
quelques marches très-étroites. Cette estrade était ornée de drapeaux qui
pendaient tout autour, d’oripeaux, d’étoffes précieuses. Un jeûne prêtre, vêtu
de noir comme toute la partie relevée de l’assemblée, accroupi à la façon des
Orientaux, lisait de là des litanies. Il avait une face de Bazile et les traits
hindous, quoique Persan de nation. Une dizaine d’autres étaient assis en cercle
au pied de la tribune, avec une petite lampe au milieu d’eux, et deux crachoirs
à l’usage de ceux qui fumaient le Houka tout en faisant leur dévotion.
Derrière était le peuple, vêtu comme à l’ordinaire, c’est-à-dire fort p eu , et en
blanc plus ou moins sale, mais ne fumant pas. Répandus dans toutes les
autres parties de la maison, ceux qui n’avaient pu arriver jusque-là étaient
censés s’unir d’intention aux prières qui s’y récitaient.
L ’A g a , très-attentif à ses hôtes européens, avait laissé près de nous son
interprète , un natif de demi-caste. Je Jui demandai plusieurs fois dans la
soirée le sens des paroles criées ou chantées le livre à la main par les divers
prêtres qui se succédèrent dans la chaire, et je reçus toujours la même
réponse; c’était le récit de la mort d’Hosein, et rémunération de toutes les
blessures qu’il reçut, de toutes les douleurs qu’il souffrit avant d’expirer.
Il y a naturellement dans ce récit un crescendo d’affliction et de désespoir.
Il fut assez bien rendu par l’action des prêtres qui en dirent les diverses
parties. Celui que nous trouvâmes au commencement avait un débit froid