
cautionné, à cet effet, par quelque habitant notable. On sent bien cependant
que la plupart de ceux qui y viennent avec peu de chose et qui s’y ruinent
tout-à-fait, y demeurent; ils grossissent lentement cette population parasite.
La classe des Libres est la moins nombreuse ; elle ne comprend pas plus
de 5 à 6,000 individus. Us sont tous de sang mêlé. Il y en a de Noirs ; la
plupart sont Mulâtres, Quarterons ou Mistifs; mais à Bourbon, on ne distingue
pas, comme aux Antilles et comme à Haïti encore, ces divers degrés
du mélange des races. Il y a long-temps qu’on a apporté beaucoup d’obstacles
a l’affranchissement des Esclaves, afin de ne pas augmenter la classe des
Libres : tous les Libres actuels sont donc nés tels, et de parents presque tous,
aussi, nés libres. Ils ont tous les droits civils des Blancs, mais ils n’ont pas
de droits politiques. Il y en a de riches : beaucoup sont dans l’aisance.
Presque tout le commerce de détail se fait par eux. Ceux qui l’exercent dans
les Quartiers, le font assez honnêtement. Dans les campagnes, ce sont eux
surtout qui excitent les Esclaves des habitations à voler leurs maîtres, en leur
achetant à vil prix les objets dérobés. Enfin, il y en a qui mènent la vie précaire
et vagabonde des Petits-Blancs créoles.
Cette classe des Libres vit avec les Blancs dans les termes les plus désirables
pour la sécurité de ceux-ci et le repos de la colonie. Us respectent les Blancs
qui ne les humilient jamais, et leur rendent, au contraire, de la politesse
et de la bienveillance pour leur respect. Quoique inférieurs en droit, et inférieurs
à tout jamais suivant la loi (car il est impossible de faire un Blanc
avec un Libre, et la descendance des Libres est condamnée à n’être éternellement
que Libre), ils comptent néanmoins parmi les maîtres. Us servent dans
la milice nationale, où ils forment des compagnies à part, toujours commandées
par des Blancs. Les grades de sous-officiers leur sont seuls réservés.
Dans l’administration, ils n’occupent que les postes subalternes; ils ne peuvent
être ni avocats, ni médecins; je doute même qu’ils puissent être huissiers.
C’est au commerce, c’est à un petit courtage très-actif, que la plupart
de ceux qui mènent une vie un peu honorable, doivent leur aisance. Us ne
peuvent pas envoyer leurs enfants en France pour y être élevés , ou du moins
on peut refuser de les recevoir dans la colonie quand ils s’y représentent. C’est
une tyrannie fort raisonnable que celle-là. Les Libres créoles paraissent satisfaits
des droits dont ils jouissent. Us apprendraient en France à souffrir
de la privation de ceux qui leur sont refusés.
Les Blancs et les Libres sont entièrement séparés socialement. Un Blanc qui rechercherait
la société des Libres, serait déconsidéré; les autres ne le recevraient
plus. Mais quand un Libre, auquel sa fortune ou l’honnêteté de ses moeurs et
la politësse de ses manières ont valu de la Considération, se marie, il invite
à sa noce les Blancs avec lesquels il a de fréquents rapports d’affaires; et
ceux-ci ne pourraient refuser de se rendre à son invitation, sans être taxés
généralement d’une hauteur inconvenante. Un Libre de bonne façon, et il y
en a qui ont d’aussi bonnes manières que les Blancs les mieux élevés, peut
être retenu le matin à déjeûner, dans la maison d’un richè colon, s’il s’y
trouve à cette heure et qu’il n’ait pas terminé les affaires qui l’ont amené
quand on vient dire qu’on a servi. C’est une politesse cordiale qu’on lui
fera, si Ion a pour lui de 1 estime et de la considération; mais on ne la
lui fera, que si Ion est en famille. On ne le garderait pas, si l’on avait un
étranger à déjeûner. A dîner, jamais on ne le retiendra, même chez les gens
les moins fiers : ce serait malhonnête pour celui-ci. Je parle cependant de la
haute classe : les Petits-Blancs assurément n’y regardent pas de si près.
Viennent enfin les Esclaves, dont il y a probablement 80,000 en ce moment.
L administration n’en avoue que 60,000 dans ses tableaux statistiques les plus
récents; mais ils ne méritent aucune confiance, parce qu’on a intérêt à la
tromper. Cette population est la plus mélangée : elle se compose, en majorité,
de Nègres achetés à la côte d’Afrique, depuis le nord du canal Mozambique
jusquà Zanzibar; de Madécasses, qu’on appelle Malgaches, de Malais, en
petit nombre, achetés dans les Moluqües, à Timor particulièrement, et à Baly;
de Malabars, beaucoup moins nombreux encore, enlevés il y a vingt ans sur
les côtes de l ’Inde, pendant la guerre avec les Anglais ; et, enfin, des métis de
toutes ces races d hommes, unies entre elles et avec la race blanche des maîtres.’
On donne le nom de Créoles à tous ceux qui sont nés dans la colonie, quelles
que soient leur couleur et la race de leurs parents. Noir s’emploie souvent,
aussi, commesynonyme & Esclave. On confond, sous ce nom, les Africains du
continent, dont plusieurs nations effectivement ont la peau très-noire; les
Malgaches, qui sont plus bruns que noirs; les Malabars, qui sont quelquefois
les plus noirs de tous ; les Malais, dont la couleur est beaucoup plus claire ;
et les métis de tous les degrés, dont quelques-uns ne sont pas moins blancs
que certains Blancs, des plus riches et des plus fiers ; car toutes les plus anciennes
familles de Bourbon sont de sang mêlé. Les premiers colons n’eurent
pour femmes que des Négresses ou des Malgaches, quelques-uns des Mala-
bares. Depuis un siècle et demi, ce sang noir, mêlé d’abord à moitié dans leur
descendance, s est constamment éclairci par les alliances avec des femmes blanches
seulement. Le type africain d’un des ascendants maternels se montre