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En supprimant tous ses agents commerciaux dans l’intérieur de l’Empire,
la Compagnie obligerait les marchands indiens à transporter leurs denrées
jusqu’aux ports d’embarquement, Calcutta, Madras, Bombay, où un plus
petit nombre d’agents suffirait à conduire ses marchés, si elle persistait à
trafiquer elle-même; mais il est indubitable qu’elle trouverait bien plus
d’avantages encore à renoncer entièrement au commerce, et à se contenter
de vendre tout entier aux négociants de ces places, le privilège quelle a seule
de le faire à la Chine. Maintenant elle en vend une partie seulement, et ce
droit d’exportation des denrées indiennes à la Chine, quelle accorde à un
certain nombre de maisons de commerce, moyennant un certain tarif, est
la source la plus claire de ses profits en ce pays. C’est le commerce qu’elle
ne fait pas qui lui rapporte le plus.
Un convoi du trésor a été enlevé, il y a peu de jours, à quelque distance.
La misère est à son comble, et oblige à se faire voleurs par circonstance,
des gens dont ce n’est pas le métier. Malgré la cherté du grain, les ouvriers
ne sont pas plus payés qu’au Bengale, où il est à si bon marché. Ils reçoivent
3 roupies (7 f,o5) par mois, et ce sont des sonat roupies, un peu moindres
que les sicca. Avant l’espèce de Half-batta qui a réduit à 15o,ooo fr. le salaire
de M. Saunders, il était payé trois ou quatre mille fois plus que les gens
qu’il emploie. La solde d’un capitaine est presque celle de toute sa compagnie.
Le coton, dont j ’ai vu dans les magasins de la Compagnie d’immenses
quantités, est uniformément à laine grossière et très-courte.
Le 8 février i 83o À Rajahpour, i 5 mil. (4 I I - ) de Kalpi.
Je traversai la Jumna à K a lp i, où sa vitesse en cette saison est de 3 mil.
( f 1.) à l'heure. Son aspect est ici le même qu’à Hammerpour ; sa rive gauche,
plate et découverte, formée d’un sable vaseux : sa rive droite plus haute et
plus escarpée encore. Ces escarpements verticaux sont bâtis des mêmes al-
luvions argileuses.
Un grand crocodile parut un instant à la surface de l’eau, près du bac ;
c'est le premier que j ’aie vu dans l’Inde, et je l’ai vu trop mal pour reconnaître
son espèce. Il y en a dans le Gange et dans cette rivière, deux au moins
extrêmement distinctes, l’une par son museau arrondi, l’autre par son museau
singulièrement long et étroit, comme une sorte de bec.
Celle-ci passe généralement pour n'être pas dangereuse; elle ne vit que de
cadavres et de poissons. L ’autre crocodile attaque et dévore l'homme et les
animaux qu'il surprend dans l’eau.
Les crocodiles ne fréquentent que les parties du cours de la rivière dont
les bords sauvages leur offrent une retraite pour déposer leurs oeufs. Us sont
peu communs ici, et très-rares à Bénarès. A Calcutta aussi ils doivent être
rares, car pendant plus de trois mois de séjour sur les bords de la rivière
à Garden-Reaoh, à Barrackpour et à Tittaghur, la traversant tous les jours,
à toute heuré de la journée, jamais je n’en ai vu un seul. Vers l’embouchure
de l’Hougli, à Diamond-Harbour et au-dessous, on les dit très-communs
et très-féroces.
Passé près de trois grands villages avant d’arriver à Rajahpour, où j ’avais
donné rendez-vous à mes gens, partis à l’avance dès le matin. Il était 11 heures
du soir quand j ’y arrivai : j ’avais marché au clair de lune. Il faisait clair
comme en plein jo u r , mais point de tente à l’horizon ; pour comble d’infortune
, je n’avais fait, i 4 heures auparavant, qu’un mince déjeuner. Le eotwal
vint, qui me fit apporter de la paille, et éveilla tout le village pour me trouver
un verre de lait. Sur ce triste dîner, je me couchai au pied d’un tamarin
et dormis délicieusement jusqua 4 heures que ma caravane arriva : on l’avait
envoyé quérir dans toutes les directions prohables. Porté sur mon lit de campagne
, enveloppé de chaudes couvertures, je m’attendais à rêver du paradis,
et je n’eus que le cauchemar jusqu’au jour.
Le 9 février i 83o. — A Secundrah, 8 mil. ( r J I. ) de Rajahpour.
Le Douâb où me voici cheminant est une immense alluvion qui sépare le
Gange de la Jumna. Il est élevé de 10 à 40 mètres au-dessus de leurs basses
eaux, et ce n'est probablement pas depuis un grand nombre de siècles qu’il
a cessé d’être occasionnellement inondé dans les pluies solsticiales. Son territoire
est très-fertile et entièrement cultivé. Kanoge, la plus ancienne ville
de l’Inde peut-être,. est bâtie dessus, près du Gange.
J’ignore si, près du confluent des deux rivières, on y cultive du riz, mais
ic i, la culture est exactement celle du pays situé entre la Betwah et la Jumna;
pas un épi de riz. Le Carthame, Carthamus tinctorius, appelé oegg Khosurn,
est la seule nouveauté que j ’aperçoive, mêlé au blé, à lo rge et à diverses
plantes légumineuses: Ses fleurs desséchées coûtent de 1 à 1 roup., af,5o à 5',00,
le ser ( 1 kilogramme presque ) , suivant leur qualité : elles servent à teindre
la mousseline en rose.
Peu de terres sont en friche : celles-là seulement dont la surface est ravinée.
Beaucoup de petits champs enclos d’un petit mur de boue élevé sur
le talus d’un fossé. De nombreux bouquets de Mangos, des Tamarins et des