
notre bord. Le capitaine seul lui parla. Il repartit après quelques minutes d’entretien
, et nous poursuivîmes notre route.
Nous sûmes seulement que cette frégate venait de Bahia, et cherchait, depuis
plusieurs jours, à entrer à Rio, dont elle était sans cesse écartée par des vents
contraires. Le jeune officier brésilien ajouta cependant que c’était la couardise
de son commandant qui les retenait ainsi en mer , en vue de la côte.
Cette visite me fit l’effet d’une insolence plutôt que d’une politesse. Il y eut
à bord beaucoup de contestations sur le sens dans lequel elle devait etre interprétée.
Il parait que o’est un point de droit naval laissé en litige, et que les
commandants de petits bâtiments de guerre , qui en rencontrent de beaucoup
plus forts d’une autre nation, n'ont de règle que dans leur audace et leur
fermeté, pour se soustraire à l’espèce d’hommage qu’on tente d’exiger d’eux.
Nous louvoyâmes toute la nuit pour nous rapprocher lentement de Rio. Le
lendemain, au point du jour, nous aperçûmes les îles situées à quelque distance
le long de la côte, puis la côte elle-même, magnifiquement dessinée en montagnes,
dont les formes hardies annoncent de loin la nature primitive. (Les
Planches I et II représentent des vues de ces montagnes prises de différents
côtés).
g L’entrée de Rio est impossible à méconnaître ; à quelques milles à l’ouest,
la Gabia, montagne à cime plate comme une tour basaltique, domine tout
l’horizon. À une moindre distance, le Corcovado élève son sommet recourbé.
Enfin, le Pain-deSu/jne, comme une borne gigantesque, termine à l’est cette
chaîne ; ses pentes abruptes, s’élancent du sein de la mer, à l’entrée même de
la Baie. (Pl. I , fig. i , 2, 3 , et yl) >
Les profils des montagnes, qui ressemblent tant aux nuages, se prêtent
comme eux aux j eux de l’imagination, qui découvre aisément, dans leurs formes
bizarres, mille objets fantastiques^On a reconnu ainsi, dans le Corcovado, le
nez d’une tête colossale, qui serait celle d’un géant couché sur le dos; les
montagnes plus basses et à cimes arrondies , qui s’élèvent entre lui et lePain-
clo-Sucre, forment grossièrement la ressemblance de son corps, et lepain-de-
Sucrè ses pieds»(Pl. I , fig. 3. )
La matinée était superbe : le soleil levant colorait des teintes les plus éclatantes
cette longue chaîne de montagnes entassées les unes sur les autres avec magnificence.
Les Iles dont la côte est parsemée laissaient déjà apercevoir leurs
détails gracieux. On voyait la cime des palmiers balancée par le vent sur le
sommet de Y Ile Ronde, dont les pentes nues sortent du sein de la mer comme
un dôme immense. G Ile Rase, qui serait une montagne sur d’autres rivages,
montrait son phare et quelques toits épars au milieu de la verdure dont elle
est couverte. Nous passâmes dans le cariai qui les sépare, gouvernant sur
l’entrée de la Baie, au fond de laquelle, dans une lumière pâle et vaporeuse,
les Montagnes des Orgues bornaient magnifiquement l’horizon.
■Les Portugais qui découvrirent la Baie de Rio-Janeiro la prirent pour
l’embouchure d’un grand fleuve. De là son nom de Rio. Des anses nombreuses
et profondes s’ouvrent dans cette Baie immense, qui n’a pas moins de 10 à
12 lieues de profondeur; et, ce qu’il y a de singulier, o’est qu’aucune Rivière
ne s’y jette. Des Montagnes assez élevées la dominent de toute part,
et elles-y versent à peine assez d’eau pour abreuver les habitants de ses rivages.
Ouverte au sud, elle s’avance vers le nord entre les flancs des Montagnes,
puis se courbe et s’élargit vers le N.E. Elle est semée d’îles et d’IIots, dont
les uns sont cultivés et d'autres incultes : plusieurs sont fortifiés, et servent
au système de la défense militaire. Toutes les marines du monde y trouveraient
un mouillage sûr et commode.
Au magnifique soleil du matin, succéda un jour faux et pâle , une lumière
terne et grise.Mes yeux, réjouis par le ciel brillant du matin, en furent offensés:
ils en éprouvèrent ce genre de malaise dont tout notre corps souffre aux premières
atteintes de l’hiver, lorsqu’une bise glacée vient flétrir soudainement
la nature qui s'épanouissait une seconde fois à ces derniers rayons si doux du
soleil d’automne. Malgré le puissant instinct de la curiosité qui m’appelait sur le
pont du navire pour voir, pour connaître ces lieux nouveaux, plusieurs fois je
descendis pour me soustraire à ce que leur vue,, éclairés comme ils étaient, avait
de triste et d’inanimé. Mais le soir fut beau comme le matin , et me réconcilia
tout-à-fait avec le ciel d’ailleurs trop vanté des tropiques..Le soleil, au déclin
de sa course, perça tous les nuages, et noya, dans une mer d’or et de feu,
les divers plans de Montagnes situées au couchant de la rade : une seule rangée
de collines, qui s’élève sur son rivage, demeura dans l’ombre. Elle semblait
d’un pourpre presque noir. Ses contours, et tous les objets qui en couronnent
la crête, des chapelles-, des couvents, des palmiers, se détachaient admirablement
sur ce fond reculé, le plus éclatant que j ’aie jamais vu.
J ai revu plusieurs fois depuis., ce magnifique effet de soleil couchant. J’en
ai étudié soigneusement toutes les circonstances de couleur et de lumière.
G’est une niaiserie des peintres que de chercher l’imitation de ces aspects de
la nature ; elle passe les moyens de leur art.
Peindre au fond d’un tableau le disque du soleil, c’est pour le peintre une