
sont nés, du moins pour y travailler à la culture. Emmenés à la ville, on
leur y fait apprendre des métiers qu’ils retournent exercer sur l’habitation
de leurs maîtres : ils sont charpentiers, forgerons, maçons. Ceux qui s’y conduisent
bien, deviennent Commandeurs, c’est-à-dire chefs d’atelier: ils commandent
aux autres, les surveillent, les corrigent; quelques-uns restent dans
les Quartiers, où ils travaillent dans les métiers qu’ils ont appris, soit pour le
compte de leur maître qui loue leurs services ou qui en vend le produit,
soit pour leur propre compte; ils payent alors, à leur maître, une rétribution
mensuelle pour l’abandon qu’il leur fait de l ’emploi de leur temps et de leurs
talents.
Les Esclaves créoles méprisent parfaitement tous les autres, et en sont haïs
pour leur hauteur. Elle est fondée sur ce qu’ayant reçu quelque culture intellectuelle
dans leur enfance, ayant souvent du sang blanc dans les veines, leur
condition est plus relevée. Au reste, les Malgaches méprisent pareillement les
Cafres, qui le rendent aux Jambanes. Ceux-ci passent pour les plus stupides
de tous. Us n’ont guère que de la baine à rendre aux autres. Quant aux
Malabars et aux Malais, ils se regardent comme d’une espèce tout-à-fait supérieure
aux uns et aux autres. Les colons voient avec plaisir ces divisions,
qui accroissent leur sûreté.
Un Caire ou un Malgache, de force moyenne et de vingt ans, récemment
importé dans la Colonie, coûte environ 400 piastres (2,000 francs). Un Esclave
ouvrier, quelle que soit sa race, ou un habile palefrenier, un cuisinier,
se vend 1,000 piastres ( 5,000 francs) : on en a vendu jusqu’à 2,000 piastres
( 10,000 francs). Les femmes naturellement coûtent moins cher.
L ’Esclave ne peut porter de chaussure. Il ne peut être affranchi par son
maître qu’avec l’autorisation de l’administration, qui ne s’accorde et ne se
demande, au reste, que très-rarement. La première condition de l’affranchissement,
est, que l’Esclave ait passé l’âge de faire des enfants. On veut bien, pour
récompenser le dévouement d’un Esclave, le faire Libre, mais oiï ne veut
pas faire une nouvelle famille de Libres.
Les Esclaves attachés au service domestique de leurs maîtres, s’estiment
fort au-dessus des Noirs de culture. Leur condition est bien plus douce. Chez
des maîtres humains, elle ne diffère pas beaucoup de celle de bien des domestiques
en Europe. Us sont généralement très-paresseux, très-voleurs, très-
débauchés,. et la surveillance continuelle qu’exigent les soins du ménage
confiés à de tels agents, empoisonnerait la vie de maîtres jaloux de leurs
loisirs.
Ceux qui travaillent sur les habitations ignorent toutes les douceurs de
la vie. Au lever du soleil, souvent une heure ou deux auparavant, le son de
la cloche les appelle. Ils sortent des misérables huttes de paille où ils habitent;
le régisseur „les partage en plusieurs bandes, conduites chacune par un
commandeur, armé du rotin, et il les envoie sur diverses parties de l’habitation,
travailler à la culture. Us emportent leurs outils et leu» ration de nourriture pour
toute,la journée. Le soir, à 6 heures, et souvent à 10 heures dans la saison la
plus active des travaux, ils rentrent, remettent leurs outils, reçpivent leur
ration du soir, et vont se coucher sur une mauvaise natte, dans leur cabane.
C’est du riz cuit avec du maïs concassé et du manioc, et souvent quelques légumes
secs d’Europe ou du Cap, qu’on leur donne à manger; on y ajoute,
de temps à autre, un petit morceau de poisson sec gâté, ou de viande salée
de Madagascar, et un verre ou deux d’araek. Us font trois repas par jour.
Une nourriture si peu animalisée, car beaucoup de maîtres ne leur donnent
jamais de salaisons, prise en quantité suffisante, les soutient parfaitement. Us
ont une disposition naturelle à^se tenir en chair, que la race Européenne n’a
pas. La maigreur est une maladie chez eux, et une maladie rare. Il y a ainsi,
dans diverses espèces d’animaux, des sous-variétés, ou des races, qui ont bien
plus de facilité que d’autres à s’engraisser, des boeufs, des moutons, par exemple;
et il y a des races de chevaux, excellents d’ailleurs, mais toujours maigres,
quelque nourriture substantielle qu’on leur donne.
Ces hommes, qui ont travaillé 15 heures y souvent aux choses les plus dures,
nus, exposés au soleil, et qui n’ont eu pour se refaire que des aliments végétaux
et quelque peu de .liqueurs spiritueuses, ne tombent pas le soir de fatigue
comme nos gens de la campagne, quand ils reviennent de la moisson ou
du labourage à la ferme. Leurs huttes de paille sont presque adossées les
unes aux autres, dans un faible enclos qu’on appelle Camp. La plupart ne
contiennent aucun meuble, aucune harde; dans celles des Cafres surtout, on
ne trouve, le plus souvent, qu’une poignée de feuilles sèches, sur lesquelles
ils reposent. Le soir, ils vont les uns chez les autres; deux ou trois se réunissent
dans une de ces misérables cases, dont chacun a la sienne. Lù, on
allume un peu de feu : ils se sauvent sans cesse, ils se tuent, ils meurent
de chagrin, quand on leur ôte la jouissance-du feu; toujours il en faut près
d’eux le jour, pendant leurs travaux des champs. Accroupis autour de quelques
brindilles qui brûlent lentement et remplissent la hutte de fumée, ils mangent
leur ration du soir, ils causent, ils babillent; à minuit, il y en a
beaucoup que Ion entend encore. D’autres, aussitôt rentrés au camp et re-
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