
Au xix' siècle, le but véritable des efforts des amis de l’humanité est-il
de convertir les hommes au christianisme ? Le christianisme est-il donc autre
chose désormais qu’un passeport regardé généralement, quoique à tort peut-
être , comme utile aux arts et à la civilisation de l’Europe ? Pourquoi donc ne
pas vouloir de ces païens catéchisés par les jésuites, et reformés par eux en
chrétiens de mauvais aloi, puisqu’ils sont propres dès lors à entrer dans le
système de nos habitudes domestiques, de nos idées, de nos affections, de
nos moeurs ?
Les personnes religieuses qui connaissent l’Inde, ne s affligent pas de ce
silence absolu gardé sur la religion , dans les écoles ouvertes aux jeunes Indiens
par les Anglais. Elles savent trop bien que le moindre mélange d’instruction
religieuse aux études profanes empêcherait les parents d’envoyer
leurs enfants dans ces écoles.
Cependant la croyance aux plus absurdes et aux plus révoltantes superstitions
s’allie difficilement : à la connaissance des , sciences ; et la majorité des Anglais,
gens de bien, jaloux d’améliorer la condition de ces peuples soumis à leur empire,
mais obligés d’affecter de prendre, de l’intérêt , au christianisme, disent
qu’en cultivant l’intelligence des Hindous, en les initiant à nos arts , nous détruisons
par la base leur croyance religieuse, et les préparons admirablement
à la foi chrétienne.
Les jésuites, pour faire chrétiens et catholiques les peuples de l’Inde et
de l’Amérique, ne commençaient pas par leur apprendre la géométrie, l’astronomie,
la physique, l’histoire de l’Europe, par ouvrir leur intelligence,
et développer leur raison. Quand on. veut enchaîner un homme désarmé , on
se garde de lui donner une arme. Non; lés sciences sont une mauvaise introduction
au christianisme. Les dogmes du christianisme sont-ils plus acceptables
à la raison que ceux,., du culte hindou ? . -
L ’enseignement des sciences de l’Europe guérira les. Hindous de leurs superstitions
nationales, mais il ne leur substituera point le christianisme. Pas
un des jeunes gens que j ’ai vus hier dans les hautes classes, ne croit sans
doute à Vishnou, à Brahma, etc., ’ètc. Instruits comme nous, ils croftut à leur
religion comme nous croyons à’ la nôtre.
Les jeunes Hindous qui sortiront du collège à 20 ans, parlant et écrivant
correctement l’anglais, familiers à ces connaissances générales qui entrent
dans une éducation libérale européenne, que feront-ils, que deviendront-ils ?
Sans doute les emplois confiés , par le Gouvernement à des natifs seront
pour eux ; mais le nombre en est petit. Le barreau, la médecine, ne sont
pas ici des carrières ouvertes à l’écoulement d’une aussi grande fraction de la
population lèttrée qu’en Europe; Le commerce? il exige des capitaux; et
d’ailleurs, les sciences de l’Europe n’y rendent pas un homme plus habile.
Les manufactures, les entreprises agricoles sont encore à l’usage seulement
de ceux qui possèdent quelque fortune. D’ailleurs, combien l’esprit d’association
qui est si nécessaire à leur succès, n’est-il pas combattu puissamment
par les divisions multipliées des castes qui isolent souvent ici un individu
dans la foule! Quelle espèce de relation peut-il exister entre des hommes
auxquels il est défendu de manger ensemble, qui ne peuvent le faire qu’avec
leur famille ou ceux de leur caste ? L ’Hindou qui transgresse cette loi de sa
religion perd sa caste; il tombe au-dessous du Paria. Car le Paria jouit d’un
singulier privilège dans sa misérable condition : il mange de tout, il tue, il
verse le sang, il s’assied à Toutes les tables sans perdre sa caste; il y a un
degré de bassesse, d’abomination encore au-dessous de lui, et il n’y peut
tomber, à moins de se faire chrétien. Les gueux sont philosophes depuis Dio-
gène jusqu’à nos jours.
Attirés sans cesse vers les Européens par la communauté dès goûts de l’esprit
et lès habitudes de leurs pensées que l’éducation aura faites européennes,
les Hindous instruits seront repoussés sans cesse parles défenses de leur religion
qu’ils ne peuvent violer ou vertement, sans perdre leur caste. Il y a maintenant
à Calcutta des natifs d’un rang élevé ou d’un caractère respèctable que les
Européens.invitent à dîner dans de g randèsjréunionsils acceptent, se mettent
à table, avec nous,.mais ne touchent à rien. Ils vont aussi loin que le permet
l’indifférence pour leur religion; ils en négligent l’esprit, mais en observent la
lettre. Il en?est chèz les Hindous comme chez lès chrétiens.
Quelques-uns d’eiitre eux n’ont aucune objection à faire contre une bouteille
de vin de Champagne qu’il s’agit de vider avec un Européen, en tête
à tête, et sous promesse du secret; mais, devant un tiers, ils mourraient'de
soif plutôt que de boire dans un verre qui eût servi à un Européen.
La domesticité plus ou moins ennoblie par les titres, mais enfin la domesticité
dansdaquelle vivent et se glorifient de vivre, près des Européens, tous
les natifs qui ne sont pas d’un rang très-élevé ou d’une fortune très-considérable,
peut-elle convenir à des jeunes gens qui ne différeront des Européens
que par la couleur de la peau et la forme de leur habit ?
Quel charme ces jeunes gens pourront-ils trouver dans le commerce des
femmes indiennes, telles quelles sont actuellement, les créatures les plus stupides
, les plus bestiales ?