
Peu de ces jeunes gens ont ici l’occasion d’une visite à faire ; et dans une
multitude de stations intérieures, ou il n Y aaucune société européenne, ils sont
absolument réduits à eux-mêmes. Ils passent la journée à fumerie Houka,
étendus sur un sofa, combinaison favorable au sommeil dans un pays chaud,
et font semblant de lire quelques romans et quelques journaux; il y en a qui
boivent de 1 eau et de 1 eau-de-vie : le soir ils sortent à cheval ou en voiture,
sans b u t, rentrent pour diner, et se couchent ensuite après une séance plus
ou moins longue de Houka et de ero?. 0 O O
Voilà, parmi eux, la forme la plus commune d’existence. Sans doute il en
est qui ne suivent pas cet errement, et vraiment il n’y a pas de service au
monde qui doive exciter parmi les officiers autant de zèle : l’ancienneté seule
avance en grade dans l’armée de la Compagnie, et c’est une sécurité pour la paresse
et la nullité, mais ce n est jamais le grade qui est extrêmement payé, c’est
1 emploi; et 1 emploi n’est pas accordé suivant le grade, mais suivant la capacité
de le remplir. Le général Malcolm, actuellement Gouverneur de Bombay,
n était que capitaine lors de sa première mission en Perse, et beaucoup d’officiers
de ce grade sont résidents politiques près des cours voisines ou alliées de
la Compagnie.
La première condition d’aptitude à ces emplois est évidemment la connaissance
du persan et de 1 hindoustani, et c’est une chose étrange combien peu
d Anglais en ce pays la possèdent. Les jeunes officiers, ceux de l’armée du Bengale
surtout, ont cependant pour cette étude toutes sortes de facilités; les
hommes quils commandent viennent presque tous des hautes provinces et
parlent 1 Ourdou; souvent ils y sont cantonnés et peuvent s’y entourer de
pundits assez instruits; enfin, après 7 heures du matin, chaque joiir ils sont
libres.
Ils se bornent, pour la plupart, à savoir dire et comprendre les choses de
première nécessite, leurs Soubadars en cela ne les aidant nullement, car ils
ne parlent pas anglais; d’ailleurs la plupart des officiers de la compagnie ne
savent ni lire ni écrire ce peu qu’ils savent dire et comprendre, et ils sont
obligés de se faire bre le rapport qu’on leur apporte chaque matin.
Il y a plus de discipline, me dit-on, dans l’armée indienne que dans aucune
armée européenne, et je le crois; je vois plusieurs raisons pour cela. D’abord
on exige beaucoup moins des sipahis que de nos soldats : hors le temps
du service, on les laisse rentrer tout à fait dans la foule et s’y mêler sans
distinction, sans tenue, sans discipline à observer. Un sipahi n’est soldât
qu un petit nombre d heures chaque jour : et le temps du service est, comme
chez nous, le temps d’une faction ou d’un exercice. Chaque homme alors est
attentif à faire de son mieux.
Puis, quoiqu’il y ait dans l ’armée des gens de basse caste, des Djamars (cordonniers),
par exemple, sa composition néanmoins est beaucoup plus relevée
que celle d’une armée européenne. J’ai vu dans les rangs, des Brahmanes de
très-haute caste , et rien n’y est si commun que le cordon brahmanique. La
profession des armes était noble dans l’Inde comme en France jadis : l’armée
est encore ici un lieu de rendez-vous où toutes les classes du peuple peuvent
se rencontrer et se mêler sans déroger; et ic i, c’est le seul qui ait ce privilège.
Ailleurs, chacun est cloué aux occupations héréditaires de sa caste; et s’il n’y
trouve pas d’emploi, ou si son travail ne lui rapporte que de la misère, il
doit s’y résigner, il faut qu’il souffre, à moins qu’il ne prenne le mousquet. Le
service militaire est recherché , c’est une faveur que d’y être admis, c’est une
grande punition que d’en être renvoyé.
La plupart des infractions quotidiennes de la discipline dans une armée
européenne sont la conséquence de l’ivrognerie et de la gaieté étourdie des
jeunes soldats, et il n’y a d’ivrognes dans l’Inde que parmi les princes, les
Rajahs, les Nawabs ou les gens de la classe la plus abjecte, en un mot parmi
ceux qui sont au dessus et au dessous des préjugés. L ’armée indienne boit de
l’eau ; elle est grave d’ailleurs comme le reste de la nation.
Je ne vois pas clairement la raison suffisante de l’influence des officiers européens
sur l’armée native; mais je ne vois pas davantage, la raison de leur
autorité sur l’armée nationale anglaise. Dans l’une et dans l’autre, il y a entre
l’officier et l’homme qui n’est pas officier une démarcation terrible ; l’un est
un gentleman, un homme comme il faut, — l’autre ne l’est pas. L’un se bat à
coups d’épée ou de pistolet, l’autre à coups de poings. Dans le service, le commandement
est bref, absolu; il doit l’être, et il n’est pas insultant. — Mais
hors de là, pas un mot ne s’échange entre ces deux classes d’hommes;
jamais une parole bienveillante d’approbation, d’encouragement, de consolation.
Les officiers s’étudient à paraître n’avoir rien de commun avec les
hommes auxquels ils commandent, ils les éloignent d’eux par une affectation
sans relâche de froideur cruelle, la plus insultante que je connaisse. C’est un
phénomène étrange dans le monde moral qu’une armée anglaise ! La majorité,
courageuse, violente et dédaignée, se soumet silencieusement à une faible
minorité qui semble prétendre à ne lui commander que par la force.
Dans l’armée d e là Compagnie, quoique la différence des rangs soit marquée,
non seulement par l’habit, mais par cette dangereuse, par cette terrible