
aux Orientaux. Us bâtiraient plutôt une maison nouvelle que de faire remettre
une vitre cassée dans une de leurs fenêtres.
La musique que nous eûmes là fut exactement la même qu’ailleurs auparavant.
La danse lut un peu différente, mais non moins stupide; les deux
bayadères, après s être traînées quelque temps sur leurs talons, chacune pour
son propre compte, firent ensemble quelques tours de main. Je sortis excédé
de fatigue et surpris de la longanimité de lord et de lady William Bentinck
qui restèrent après nous.
Cette visite du Gouverneur-général à des natifs, dont l’un n’est qu’un
parvenu et l’autre un homme en train de parvenir, a été blâmée. Il n’y a
pas de doute que les deux drôles auxquels il a fait cet honneur, n’en tirent
beaucoup de profit par le crédit qu’ils vont se vanter de posséder près de
lord William, et les services qu’ils prétendront rendre par là à un chacun. Si
le Gouverneur-général de 1 Inde a eu tort de se trouver en si mauvaise compagnie,
il a été passablement puni par 1 ennui, résultat de sa curiosité, mais
je ne pense pas que cette démarche, non plus que sa manière d’être habituelle,
simple et unie, compromette 1 Empire britannique dans l’Orient. Les
Gouverneurs - généraux précédents avaient une moins bonne cuisine, une
moins bonne maison y suivant 1 acception européenne, mais ils avaient plus
de faste extérieur. La menagerie de Barrackpour était peuplée de Tigres et
de Lions ; il n y a plus maintenant que deux malheureux Ours, qu’on laisse
mourir de faim, disent les mauvais plaisants, et cette décadence est le signe
prochain de celle de 1 Empire, ajoutent des hommes sérieux dont l’opinion
doit être entendue. Je partage à cet égard l’avis de sir Charles Grey : je
crois que la puissance anglaise dans 1 Orient n’a rien de commun avec l’abandon
de quelques bêtes. Le Gouverneur-général de l’Inde n’est pas un
prince asiatique. La nature de son pouvoir est totalement différente : il ne
repose pas sur les mêmes bases ; il n a pas besoin d’inspirer aux peuples l’adoration
stupide et abjecte qu’ils rendaient à leurs Rajahs et à leurs Nawabs.
Le peuple, dans lln d e , sème et travaille, pas beaucoup il est v rai, mais
dans son loisir il fume ou dort et s’embarrasse peu de la chose publique; il
a peu affaire aux Anglais. C est par des natifs que se recueille matériellement
1 impôt, et c est rarement le malheureux qui travaille qui le paie. Il est exclu
de la propriété du sol qui appartient exclusivement à l’É ta t, et le fermier ou
Zemindar n est pas tellement stupide qu’il ne comprenne fort bien le pouvoir
d un homme qui a 200,000 soldats, meme quand cet homme se permet de
sortir dans son jardin en veste blanche, comme je rencontrai hier soir
lord William, en allant diuer chez lui. Il y a dans la puissance anglaise en
ce pays , une réalité solide dont les peuples sont convaincus , et c’en est
assez pour sa durée. Comme prince asiatique, le Gouverneur-général, avec
ses a 5,ooo guinées (600,000 francs), et les autres avantages que lui fait
encore la Compagnie, ne pourrait être que mesquin. La pension de l’empereur
de Dehli, que le Gouverneur-général a la puissance de suspendre d’un jour
à l’autre, est beaucoup plus considérable. Les peuples de l’Inde peuvent savoir
sans inconvénient que le Gouverneur-général n’est pas le plus riche, ni le
plus magnifique ; il suffit qu’ils sachent qu’il est le plus fo r t, et qu’il est le
Maître de tous.
D r a m e r e l i g i e u x d e R a m - L i l a , a u c a m p d e B a r r a c k p o u r .— Sur l’immense
pelouse du Champ-de-Mars de Barrackpour, les sipahis hindous avaient élevé,
dès le premier jour du Ram-Lila, plusieurs idoles colossales, environnées de
figures bizarres de chevaux et d’éléphants, de tout l ’attirail d’une guerre indienne
; le simulacre d’un fort que ces idoles devaient assiéger avait été bâti,
et chaque soir ces dieux, qui n’avaient pas moins de 20 mètres de haut,
courant sur leurs roulettes, se livraient, pour préluder, des engagements
burlesques qui devaient finir par une grande bataille. Plusieurs centaines de
sipahis déguisés de mille façons représentaient le drame religieux de Ram-
Lila , dont l’histoire est assez singulière. Une armée de Singes, partie de
Ceylan, menaçait d’envahir l’Inde. Ram, un dieu indien, et de plus très-habile
général, fut envoyé pour les combattre ; mais il devint amoureux d’une belle
femine que les Singes avaient amenée avec eux, et il passa de leur côté. Sa
défection faillit à renverser l’Empire. Cependant les autres dieux fidèles l’emportèrent
à la fin, et Ram-Lila, dans une grande bataille, périt avec tous ses
Singes. Voilà l’histoire telle qu’on me l’a contée; mais je n’ai pas lu la légende.
Peu importe au reste qu elle soit absurde d’une façon ou de l’autre.
Cette guerre céleste devait se terminer jeudi soir ( 8 octobre). Nous traversâmes
les nobles jardins de Barrackpour ; ils étaient silencieux et déserts
à cette heure, où une foule de voitures et de cavaliers ont coutume de s’y
croiser en tous sens ; mais le Champ-de-Mars était comme une mer mouvante
de têtes d’hommes et de chevaux mêlés tous ensemble. Le site, l’heure, le
temps, formaient un admirable accord. Le soleil se couchait : dans la demi-
teinte empourprée du soir, les vastes bornes de l’horizon s’effacaient. Au
dessus du tumulte de la multitude et des ombres qui se répandaient sur la
terre, les idoles gigantesques s’élevaient dans le c iel, imposantes à cette heure