
elle est fort grande. Son aspect est celui des salles d’Italie; point de lustres,
et des bougies devant toutes les loges. Les femmes parées ; les hommes .très-
habillés, tous couverts de plaques, au-dessus de l’âge de i 5 à 16 ans,
prenaient l’air dédaigneux et excédé des dandys de Regent’s-street. Je crois
que tout ce qu’on appelle à Rio la bonne compagnie a loge à l’Opéra.
L’Empereur y est très-assidu, parce que les danseuses et les figurantes sont
fort de son goût, sans préjudice des belles dames. Pendant la représentation,
la place du Théâtre est couverte de chaises de poste, dans lesquelles sont
venus de leurs villa tous les spectateurs des loges; on dételle les mules,
qui broutent le peu d’herbe poudreuse qui croit çà et là sur la place ; les
postillons dorment auprès , ou jouent entre eux et s’enivrent. De la des
Scènes de désordre, quand, à n heures, les maîtres, sortant du théâtre, ne
trouvent pas leurs voitures attelées, et que leurs gens sont quelquefois trop
ivres pour les conduire la nuit, dans l’obscurité, à leurs demeures, éloignées
généralement d’une ou deux lieues. La place, pendant la représentation, a
l’air d’un camp. Il n’y a pas moins de trois à quatre cents voitures et d’un
millier de mules ou chevaux, outre quelques centaines de Noirs domestiques.
Tout cela est nécessaire au plaisir de deux ou trois cents familles. Si encore
elles s’amusaient !
Le parterre de l’Opéra, à Rio, m’a paru composé de cette classe ibour-
geoise de couleur décidément blanche, qui exerce les emplois de médecin,
d’avocat, et qui occupe les places secondaires et subalternes de l’administration.
J’y ai cherché vainement quelques figures de gens de couleur : elles
auraient le droit d’y paraître; mais il est probable qu elles y seraient mal
accueillies. Gar c’est peu de chose à Rio que d’avoir pour soi le droit légal,
quand on a contre soi l’opinion générale.
Tel est le cas de la liberté de la presse. Elle est formellement reconnue
par la loi. L’Empereur la veut loyalement. Quelques journalistes ont donc
essayé d’en user; mais la nation n’en veut pas ; elle n’en est pas digne.
Des écrivains qui n’ont pas craint de parler avec quelque sévérité d’affaires
qui concernaient des personnes d’un haut rang, ont été assassinés Te soir
au foyer même de l’Opéra, par la meilleure compagnie du pays. Il faut
le despotisme d’un homme fort et éclairé à de tels misérables. Don Pedro
se figure qu’il est cet homme-là ; il se flatte beaucoup.
La nature avait tout fait pour le Brésil ; l’homme y a tout gâté : il faut
y détourner les yeux et de lui et de ses ouvrages. Il faut sortir des villes,
s’éloigner même des campagnes cultivées ; il faut s’enfoncer dans les déserts,
pour n’avoir point lame attristée par la vue des infortunes humaines. Il n’y
a de beaux paysages au Brésil que les paysages sans figures. La nature
sauvage, la nature vierge y est admirable.
Et heureusement on la trouve presque aux portes de ces grandes cités
populeuses dont le spectacle tumultueux et les bruits importuns font désirer
si vivement la solitude et le silence.... Les montagnes qui s’élèvent derrière
Rio-Janeiro, et dont la masse imposante se montre de loin à la mer,
dominant l’entrée de cette Baie magnifique, les collines qui flanquent toute
sa rive septentrionale, sont encore couvertes de forêts. L’espèce et la grandeur
des arbres qui les composent, varient suivant les expositions, la fertilité
des terrains et l’abondance des eaux. Sur les pentes sèches et peu fertiles,
d’élégants arbrisseaux entremêlent les couleurs diverses de leurs fleurs et de
leur feuillage; mais, là où quelque ruisseau entretient de la fraîcheur, la
végétation étale une magnificence admirable, La forêt vierge de M. de
Clarac n’est pas un mauvais dessin, il donne bien l’idée des formes dominantes
les plus remarquables de la végétation brésilienne, et il a le
mérite de l’exactitude dans les détails ; mais il est trop petit, il n’est qu’é-
pisodique. C’est un accident de la forêt brésilienne, c’est presque une clairière.
Ces arbres de formes si diverses, ces lianes si variées, ces palmiers,
ces ^fougères, ces arum au bord des eaux, ne sont pas assez entrelacés
ensemble. Le dessin est un peu sec, un peu maigre. M. de Clarac a introduit
dans sa forêt un Indien. Cette figure est mauvaise, c’est une idée
puérile que de l’y avoir placée ; c’est presque un contre-sens. Cette forêt n’est
donc pas impénétrable, puisqu’un homme nu y est entré.
Chacune des Anses ouvertes dans la Baie de Rio a un caractère qui lui est
propre. Toutes sont assez profondes pour recevoir de gros bâtiments; aucun
n’y mouille, parce qu’il n’y a que de petits villages, et point de chargements à
y faire. Quelques-unes même sont sauvages et désertes. Rien n’est plus
gracieux; ces chapelles toujours élégantes, ces beaux cyprès qui s’élèvent
autour, sur les collines où elles sont situées, ces belles eaux m’ont rappelé
souvent les lacs de la Lombardie ; tandis que je voyais dans un vallon voisin
la nature équinoxiale étaler sa lourde et brillante magnificence.
Mais rarement ces tableaux m’ont attendri. Ce qu’il y a de touchant dans'le
spectacle de la nature, ce sont, dans le vague lointain des rêveries qu’il nous
inspire, les images fantastiques du bonheur de l’homme ; ce sont les harmonies
de cette nature insensible avec la sensibilité humaine; et quelque affligeante
que soit souvent en Europe la condition des êtres qui vivent si près de cette