
des Affranchis et la richesse de quelques-uns leur donnent, à legarddes Blancs,
un certain air d’égalité, quelquefois même d’insolence, qui révolte les colons
français et anglais, habitués, dans leurs établissements, à la sujétion de leurs
esclaves et aux respects les plus soumis des gens de couleur libres.
Il y a très-peu d’esclaves parmi les Sang-mêlés de couleur claire. J’ignore si
c’est parce que leurs pères blancs répugnent à voir leurs bâtards dans l’esclavage,
ou bien par cela même quêtant mulâtres, ils sont plus intelligents et
travaillent assez pour avoir de quoi se racheter.
On m’a dit que le régime des Noirs de culture était assez doux. La mortalité,
cependant, malgré l’extrême salubrité du climat, est grande parmi eux.
A Rio même, les Noirs meurent pour ainsi dire sans se reproduire, car on
en voit bien peu, de quelque âge qu’ils soient, qui ne portent dans le tatouage
de leur figure et de leur corps, la marque de leur naissance africaine.
La très-grande majorité de l’armée brésilienne se compose de Noirs et de
Gens de couleur. Us doivent être libres pour être soldats. Comme les engagements
volontaires des affranchis étaient loin de suffire aux besoins du service,
le gouvernement a affranchi des esclaves qu’il a achetés afin d’en faire des
soldats. Des Blancs et des Mulâtres, indistinctement, les commandent dans les
grades subalternes; mais il n’y a, je crois, que des Blancs parmi les officiers
supérieurs.
Rien n’est plus honteux, ni plus lâche que cette armée. Elle est fort bien
équipée par les Anglais dont elle a adopté, à peu près, les divers costumes
militaires, mais elle manque absolument de discipline et d’exercice. Je crois
beaucoup moins mauvaises les troupes haïtiennes.
Quelques officiers européens, italiens et français surtout, y ont pris du
service. On les rebute par mille dégoûts; il seïhble qu’on se méfie d’eux. On
les retient dans les grades inférieurs où leur habileté se perd et ne peut s’exercer.
On les hait parce qu’on comprend leur supériorité : on voit en eux plutôt des
juges et des censeurs que des amis.
Peu importe, au reste, à l’indépendance politique du Brésil, l’état de ses
forces militaires! Cet empire n’a que des voisins aussi faibles et plus encore
peut-être que lui; ce n’est pas l’agression étrangère qu’il aura de long-temps
à repousser. Son ennemi est au dedans; c’est cet innombrable peuple de Noirs
libres et esclaves, qui vivent en général dans un état de soumission à une
poignée de Blancs dégénérés, de Portugais faibles et lâches, dont ils convoitent
sans cesse les richesses et les privilèges.
Ainsi donc l’armée brésilienne actuelle, qui comprend à peine quelques
régiments blancs composés d’étrangers, employés malgré eux au service militaire,
et mécontents par conséquent, et qui, nonobstant sa faiblesse, suffit à
l’indépendance extérieure de l’empire, menace terriblement sa sûreté intérieure.
Les avantages sociaux auxquels la population blanche admet les affranchis,
sembleraient devoir leur inspirer quelque reconnaissance pour elle. Car il faut
dire à la louange des Portugais, qu’ils ne témoignent pas aux Gens de couleur,
ni même aux Noirs esclaves, ce mépris, cet éloignement qui semble dériver
autant, chez les Français et les Anglais surtout, d’une répugnance physique,
instinctive, que d’un préjugé social. Les Blancs de la basse classe au Brésil
vivent avec les Noirs affranchis de la même condition, sur le pied d’égalité. Us
n’ont pas l’air de s’estimer davantage. Us ne les tiennent pas du moins à cette
distance respectueuse, que, dans nos colonies, les plus chétifs planteurs français
mettent entre eux et les hommes de couleur libres, comme un aveu tacite
qu’ils exigent de l’infériorité de ces derniers.
Ce que les Portugais brésiliens accordent, aux hommes de couleur libres,
de liberté pour exercer leur industrie et de moyens d’acquérir de la fortune, ce
qu’ils leur accordent d’égards sociaux, tout cela ne sert qu’à leur faire envier
davantage la possession entière de tous les privilèges que s’accordent à eux-
mêmes les maîtres du pouvoir politique. En leur permettant de s’enrichir par
le travail, les Brésiliens ne leur interdisent pas de s’instruire, d’acquérir quël-
ques idées d’indépendance absolue. Ils leur laissent les moyens de s’élever jusqu a
eux, et ils veulent qu’ils restent au-dessous. Il y a , dans cet état de choses, des
contradictions qu’un avenir prochain prouvera indubitablement, et peut - être
d’une manière terrible. Ou la propriété avec la richesse passera rapidement aux
mains des Mulâtres, ou ils l'arracheront violemment aux Blancs.
Devenus maîtres, je ne crois pas que les Gens de couleur au Brésil puissent
reteñirles Noirs dans l’esclavage.
Avec la domination des Blancs finira le peu d’ordre public qui règne encore
en ce pays.
Avec l’esclavage finira le peu de travail qui s’y exécute : il n’y aura plus
qu’anarchie et misère.
Le Brésil ne me semble pas seul menacé de ce déplorable avenir. Ce sort sera
celui de ces nations purement nominales, dont on vient naguère de grossir
la liste des associations politiques humaines, de ces sociétés coloniales, fondées
sur l’effroyable principe de l’esclavage d’une race d’hommes que sa timidité et
son abrutissement rendent faciles à asservir ; mais les traits distinctifs et indélébiles
de leur organisation physique leur donnent toujours un signe certain