
C'est un homme qui parle, qui agit, qui vit enfin constamment sur la défensive.
Il a été tant de fois attaqué! Il n’exprime pas une opinion sans en défeodre
toutes les avenues. A la guerre, cet excès de prudence est utile; mais il n’est
que gênant avec des amis : il doit rendre la conversation un peu lourde.
Ram-Mohun-Roy reçut tout ce que l’on donne d’éducation aux brahmes;
mais au lieu d’en rester où les autres s’arrêtent généralement, à une légère
connaissance du sanskrit et des livres religieux des Hindous, il se perfectionna
avec ardeur dans ces connaissances, et devint, non seulement un excellent
sanskritiste, mais il apprit parfaitement l’arabe et le persan, et, à l’aide de ces
langues, de l’arabe particulièrement, il acquit les connaissances philosophiques
nées chez ce peuple, et celles qu’il a empruntées des Grecs.
De bonne heure, révolté des horribles absurdités du culte hindou, il osa
protester contre elles, et il écrivit pour rétablir les doctrines plus pures des
anciens Yédas, corrompues, défigurées dans le cours des siècles par une foule
de superstitions abominables.
En attaquant la religion de fait de son pays, il prétendait cependant la défendre;
de même, tous les réformateurs qui s’élevèrent au seizième siècle
contre le catholicisme, se disaient les défenseurs de la foi chrétienne.
Il commença alors à écrire une foule de pamphlets en langue bengalie pour
exposer la morale pure et sans mélange des antiques Yédas, et dépouiller le
culte hindou des dogmes absurdes et des superstitions grossières dont il es£sur-
chargé. Les orthodoxes lui répondirent peu avec des paroles; mais il dut souffrir
leur persécution. Repoussé de sa caste, éloigné de sa famille, il se vit
même abandonné de sa femme et de ses enfants, du jeune âge desquels on
avait abusé; mais cette injuste réprobation ne put l’abattre. Convaincu q u e ,
dans son état actuel de corruption, la loi religieuse des Hindous souillait
toute morale, et s’opposait invinciblement à toute amélioration, il ne cessa
de l’attaquer.
Au milieu des travaux que cette lutte sans succès lui imposait, il acquérait
une connaissance parfaite de la langue anglaise, de l ’hébreu, et il lisait
les écritures chrétiennes. Guidé peut-être dans cette étude par un prêtre de
cette secte, il s’approcha de l’église presbytérienne. Il ne trouvait rien dans
les Védas qui fût inconciliable avec le chris tianisme ; et, sans abjurer ou.
vertement l’hindouïsme, sans perdre sa caste, de même que sans embrasser
formellement aucun culte , il passa bientôt pour chrétien.
J’ignore quels gages de foi il donna. Je crois qu’il se borna à assister régulièrement
aux exercices religieux qui se pratiquent dans l’église presbytérienne,
et j’ai lieu de supposer qu’il fréquenta aussi la cathédrale anglicane ; mais la
raison qui lui avait fait abandonner la croyance absurde de ses frères, 1 éloigna
bientôt des exercices de cette communion si riche en dogmes absurdes,
et il parut suivre l’église presbytérienne.
Cependant, les sermons extravagants d’un ministre ne tardèrent pas à le
séparer encore de celle-là. Des missionnaires anabaptistes essayèrent alors de
s’emparer de cette ame vacante ; mais Ram-Mohun-Roy n’était pas un homme
simple et ignorant, facile à convertir ; il connaissait la théologie chrétienne aussi
bien que ceux qui voulaient être ses maîtres. Doué, par la nature, du sentiment
religieux, mais affranchi de tous préjugés, il avait lu les écritures chrétiennes
avec un esprit parfaitement indépendant et critique. Il n’avait trouvé dans le
Nouveau-Testament que l’histoire de la vie et des opinions d’un juste, d’un
sage, d’un martyr de la cause de l’humanité qu’il avait voulu rendre meilleure ;
la morale de l’Evangile lui avait paru la plus sainte, la plus sublime, et il venait
de s’unir à la secte, très-improprement appelée chrétienne, qui, professant
hautement et sans réserve l’unité de Dieu, ne révère Jésus que comme le plus
saint des hommes. Ram-Mohun-Roy était donc devenu unitaire quand on voulut
le faire anabaptiste. Une polémique religieuse s’engagea entre lui et le
missionnaire qui voulait le convertir à sa doctrine : Ram-Mohun y montra une
tette-,supériorité, que le pauvre missionnaire, honnête homme, et n écoutant
plus que la conviction nouvelle portée à son ame, embrassa publiquement
l’unitairianisme.
Ram-Mohun frest donc plus qu’un déiste, qui consent à laisser la sanction
de quelque apparence divine à la morale de l’Evangile.
Perdu depuis long-temps pour les Brahmes, ceux-ci avaient renoncé à le
ramener; leur persécution s’était ralentie, et il était parvenu à rappeler près
de lui sa femme et ses enfants; mais son inconstance première parmi les
chrétiens,'-et'la croyance pure et philosophique où il s’était enfin fixé, suscitèrent
contre lui bien des inimitiés. Le vulgaire, qui pense peu à la religion,
qui, j ’oserai le dire, n’a pas de religion, et qui est fier de sa constance,
de son immobilité religieuse , comme s’il y avait quelque mérite à ne pas
bouger dans le sommeil, dans la mort, le vulgaire reprocha à Ram-Mohun
ses apostasies fréquentes ; et comme, entre un athée et un déiste, le peuple
des dévots ne fait aùcune différence, on l’accuse charitablement d’être un misérable
sans aucune religion.
Les griefs ne manquent pas contre lui aux ames charitables. Quoique depuis
sa jeunesse il ait cessé de fréquenter les lieux sacrés des Hindous, il se