
jourd’hui, on viole le contrat souscrit autrefois avec eux par la mère-patrie;
on rompt le lien qui les unissait à elle ; à peine restent-ils encore Français.
Quelques-uns, bien ridicules sans doute, parlent d’indépendance coloniale.
Cette mauvaise foi est bien méprisable. Elle serait menaçante, en restant
toujours ridicule, sans le système libéral de l’Administration anglaise sur
l’Esclavage, à Maurice; car les Colons savent très-bien qu'ils ne pourraient
cesser d’appartenir à la France que pour appartenir à l’Angleterre, . et ce
changement de domination, qu’ils eussent assurément menacé la mère-patrie
d’opérer volontairement il y a une vingtaine d’années, dans des conjonctures
semblables, serait aujourd’hui pour eux le comble des maux.
C’est déjà bien assez, pour les inquiéter et les irriter continuellement, que le
voisinage de cette île maudite, où la traite est prohibée, non-seulement de
droit, ce qui n’est pour les Colons qu’une humiliation, mais de fait ; où le
Maître ne peut exiger aucun travail de ses Esclaves le dimanche, ni leur en
imposer chaque jour de la semaine au-delà d’une certaine mesure ; où il ne
peut les battre sans l’autorisation d’un juge de paix ; où les Noirs sont mariés
civilement et religieusement comme les Blancs; où l’Esclave qui peut prouver
que son maître a usé ou abusé d’elle, est affranchie aussitôt ; où enfin
les limites de la puissance des uns et de l’obéissance des autres sont tracées
par la loi, et où des officiers de justice accueillent les plaintes des Esclaves
maltraités, et punissent d’amendes les Maîtres coupables de ces injustices.
Voilà en effet les fruits de l’Administration anglaise à l’Ile de France» Sans
secousse, sans violence, elle a produit depuis 20 ans tous ces résultats : en
y laissant subsister le nom et bien des attributs de l’Esclavage, elle a frappé
à mort cette exécrable institution ; en se mettant entre le Maître et l ’Esclave,
plus haut que le Maître, elle a donné des droits très-réels, très-respectés à
l ’Esclave, qui en est absolument privé à Bourbon et dans toutes les Colonies
françaises. J’ignore si l’Administration elle-même y parle d’émancipation dans
l’avenir; mais quel que soit son langage, elle l’a commencée de fait, et de
la meilleure manière, par l’abolition de servitudes partielles.
Tandis que chez nous l’affranchissement est rendu presque impossible, la
loi coloniale anglaise à Maurice, s’efforce de le rendre facile et fréquent.
Le nombre des gens de couleur Libres était, depuis long-temps, beaucoup
plus grand proportionnellement à l’Ile de France qu’à Bourbon. Cette classe,
depuis l’Administration anglaise, a pris une nouvelle extension numérique,
et en devenant plus nombreuse, elle a acquis aussi des droits politiques qui
la rendent très-importante. S on . arrogance avec les Blancs, que je suppose
n’être que de la politesse sans bassesse, sans aveu d’infériorité, ne permet
pas aux Colons bourbonnais de comprendre comment leurs voisins peuvent la
supporter; ils les méprisent de se soumettre à ces vexations, et-ils disent
qu’ils ne tarderont pas à être terriblement punis de leur faiblesse et de leur
lâcheté par une révolte ouverte de ce qui reste encore d’Eslaves, et à éprouver
le sort des Colons de Saint-Domingue.
Que ces déclamations soient sincères ou hypocrites, peu m’importe ; elles
sont également absurdes de toute manière. Le Gouvernement anglais est
trop habile, en administration coloniale surtout, pour compromettre par
une philanthropie généreuse l’ordre publie et [sa domination dans une île
dont la possession lui est si utile en temps de guerre. Sa position était bien
défavorable pour opérer ces belles réformes; car il était et il est encore
odieux aux habitants, demeurés attachés de coeur à la vieille patrie, à la
France. Il est naturel à des vaincus de haïr leurs conquérants; et la conquête,
l’occupation militaire, voilà les droits récents et les moyens de la puissance
anglaise, à Maurice. Ils n’ont cependant éprouvé aucune résistance; ce que
l’Administration de Bourbon, forte de sa nationalité, n’oserait entreprendre
sans craindre de bouleverser la Colonie, les Anglais, étrangers, vainqueurs
détestés, l ’ont fait à Maurice sans coup férir.
Malgré les restrictions apportées à Maurice par les Anglais aux droits des
Maîtres sur les Esclaves, restrictions qui ne leur permettent pas de leur
imposer une aussi lourde tâche, et de tirer conséquemment de leur travail
le même profit, la même rente, l’élévation du prix des Noirs y a suivi immédiatement
la défense d’y en introduire de nouveaux. Un Noir de culture
coûte, à Maurice, i 5o ou 200 piastres (750 à 1,000 francs) de plus qu’à Bourbon;
or , les Colons de Maurice n’obtiennent pas en Angleterre, sur la vente
de leurs sucres, les mêmes privilèges qui sont accordés en France aux sucres
de Bourbon. Ainsi, les frais de production de cette denrée sont plus chers à
Maurice, la denrée elle-même s’y vend un quart de moins, et cependant la
Colonie n’est pas en décadence ; beaucoup d’Anglais s’y sont faits propriétaires
et y vivent, dans l’opulence, des produits de leurs terres. Cet état de
choses dure depuis assez long-temps pour prouver que la fabrication du sucre
peut etre encore lucrative à des conditions de fabrication et de vente moins
avantageuses que celles accordées à Bourbon par la tolérance de la traite et
le privilège des douanes.
Peut-être qu’à Maurice les habitants retirent i 5 à 20 pour 100 des capitaux
qu’ils ont consacrés à des acquisitions territoriales et à des entreprises de