
ruinaient le cabotage. A quoi sert-il donc d’être Brésiliens, se demandent les
gens de Bahia et de Fernambouc, et ceux des provinces de l'intérieur, puisque
nous ne recevons de ce gouvernement aucune assistance, aucune protection?
A quoi bon demeurer unis par la même loi aux provinces qui nous entourent,
puisque cette union ne nous donne aucune forcé ?
Aussi y a-t-il eu déjà plusieurs tentatives faites, dans quelques provinces,
pour se séparer les unes des autres en États indépendants et détruire l’unité
monarchique du Brésil. Don Pédro, dont l’autorité impériale est déjà usée, et
qui avait plus de force et plus de popularité au début de son règne, a pu étouffer
les premières ; mais il est douteux qu’il parvienne à réprimer désormais les mouvements
entrepris avec le plus de mollesse. Il sent au reste que ce n’est plus que
par la persuasion, par la déception, par la politique enfin, qu’il peut prolonger
1 existence de son empire et en prévenir le démembrement. C’est, à ce but que tendent
tous les efforts de son gouvernement.il y réussit fort bien en donnant des
portefeuilles aux membres de la chambre élective, qui se distinguent dans le
parti républicain ou fédéraliste. Il en fait ainsi les impérialistes les plus absolus.
Puis, comme il n y a pas autant de places au conseil impérial que de vertus
républicaines à amortir, il dédommage, sous main, en argent comptant, celles
à qui il ne peut accorder les honneurs du ministère et dont l’influence et les
entreprises pourraient être dangereuses.
C est quelque chose de très - ridicule assurément que cette chambre
soi-disant représentative dans un pays ignorant, dépravé, échappé d’hier
aux miseres du despotisme colonial ; où il n’y a ni moeurs politiques, ni
éléments dun gouvernement raisonnable. Ici, électeurs, éligibl es, tout
manque. Une élection se fit à Rio, quand j ’y étais : c’était pour remplacer un
démissionnaire. On lui choisit un successeur : la chose se fit dans une espèce
de coterie fort peu nombreuse quon appelait une assemblée électorale. La
Constitution brésilienne accorde, il est vrai, les droits politiques aux Libres,
quelle que soit leur couleur, moyennant une certaine quotité des impôts qu’ils
acquittent; et le nombre des électeurs serait grand, si tous ceux auxquels elle
conféré ce titre en reclamaient la jouissance; mais il n’y a que la classe
riche qui prenne intérêt à ces débats et qui s’y mêle.
J ai entendu dire à des personnes qui ont résidé pendant plusieurs années au
Brésil, que les habitants avaient beaucoup d esprit: je ne sais duquel elles m’ont
voulu parler; mais enfin cet esprit ne leur donne pas la connaissance des affaires,
et les députés brésiliens, dans leurs discussions parlementaires, font preuve
d une rare ignorance de choses qu’un homme politique devrait savoir en tous
pays. Leurs débats sont pitoyables. On m’a dit aussi que, s’il n’y avait pas plus
de savoir parmi les membres impérialistes, monarchiques de l’assemblée , que
parmi les fédéralistes, il y avait moins de probité parmi ces derniers. Le peu
de société, de nation, qu’il y a au Brésil * accorde plus de considération à
ceux-là qu’à ceux-ci.
L’Empereur, malgré la vulgarité de ses idées qu’accuse celle de ses goûts et
de ses moeurs, malgré le défaut presque absolu de toute éducation première,
passe pour un homme de sens. Plus jeune, il s’était amouraehé comme un enfant
de son oeuvre constitutionnelle; il était alors un chaud patriote brésilien.
Ce beau feu s’est éteint. C’est pour conserver une couronne que la grandeur de
ses possessions semble rendre très-belle, quil cherche maintenant à garder
l’intégrité de l’Empire. Il ne gouverne plus désormais que pro aris et focis. Cet
intérêt fortJ prosaïque ne l’empêche pas de voir cependant, sinon les avantages
positifs qui résultent pour ses sujets de leur soumission à une loi unique , et
de leur union en un seul corps de nation (ces avantages sont tous négatifs )-,
du moins les maux sans nombre qui les accableraient, dès que les provinces de
l’Empire ne formeraient plus qu’une République fédérative.
Il arriverait alors du Brésil ce qui est arrivé des colonies espagnoles voisines,
qui ont passé violemment du joug colonial à la république représentative. En
proie à l’anarchie, à la guerre civile, à la guerre étrangère par leurs dissensions
entre elles, exposées sur quelques points à des révoltes d’Esclaves noirs, leur
indépendance de la mère-patrie les dévore. Ce vieil édifice colonial, tout misérable,
tout délabré qu’il était, se tenait debout cependant, et il aurait pu exister
quelque temps encore par sa masse ; le plus faible choc l’a renversé : ses matériaux
étaient pourris. Peut-on relever de telles ruines? que pourrait-on reconstruire
avec de tels débris?
L’exemple des États-Unis désole depuis quinze ans l’Amérique. La prospérité
inouïe de ce peuple nouveau, constitué en république fédérative, a séduit follement
toutes les colonies espagnoles affranchies ; l’Europe a stupidement partagé
ces illusions. La force et la richesse des États-Unis, les progrès extraordinaires
qu’ils ont faits constamment, depuis leur affranchissement, dans toutes
les routes de la vraie civilisation, ont été regardés universellement comme le
résultat de leurs institutions politiques; tandis que ces institutions n’étaient
au contraire que le produit des habitudes sages, industrielles, pacifiques; en
un mot, des moeurs toutes constitutionnelles de cette nation. Ce n’est qu’à des
populations éclairées et laborieuses que peut s’adapter la forme du Gouvernement
américain. Effet et cause à la fois, cet admirable Gouvernement affermit
et perpétue les vertus sociales d’où il dérive.