
paient sans doute assez généreusement les leçons qu’ils donnent à une quinzaine
d’enfants convertis ; mais pour étendre leur action apostolique, ils ont formé un
bel établissement d’imprimerie, d’où partent, pour toutes les parties de l’Asie,
des traductions de l’Evangile; on y fait le papier, on y grave, on y fond les
caractères; des Pundits composent et corrigent; on y relie, on y dore sur tranche
au besoin, et à juste prix. Un des missionnaires, M. Mac, Ecossais sans doute,
est fort bon chimiste, dit-on; il a la surintendance de la papeterie, et des machines
à vapeur dont la force y est employée. D’autres, philologues plus spécialement,
surveillent l’impression des ouvrages en langues orientales. Il va sans
dire que l’impression des livres anglais profanes nes t point prohibée, non
plus que la vente du papier, du carton, des caractères, que l’établissement
peut fabriquer au delà de sa consommation. Ces missionnaires-là sont véritablement
utiles. Il y en a cependant quelques-uns sur lesquels les dévots
austères se sont permis de jaser, parce qu’en donnant du travail et du pain
à quelques centaines de malheureux, ils s’enrichissent au lieu de s’appauvrir.
Aucun de ces propos n’a jamais atteint le docteur Carey, quoique je trouve
sa bibliothèque très-dispendieusement meublée pour un apôtre.
La plupart des débiteurs insolvables de Calcutta fuient la prison à Séram-
pour; et comme il y en a un grand nombre qui ne sont que des gens malheureux,
que l’on verrait avec peine soumis aux rigueurs de la loi, on se
félicite que ce petit coin de terre danois leur offre un asile. Ils vivent là petitement,
jusqu’à ce qu’ils trouvent le moyen de rétablir leurs affaires, ou
de retourner en Europe. Le dimanche, ils descendent à Calcutta par la rivière,
passent la journée avec leurs amis, et s’en retournent le soir, la sainteté
du jour défendant qu’on les arrête. Chandernagor a bien aussi quelques
habitants de cette espèce, mais beaucoup moins nombreux.
A un mille au-dessous de Sérampour, il y a une assez grande pagode extrêmement
vénérée. Le dieu principal qui l’habite en sort une fois tous les ans
sur un char analogue à celui de Jagrenat, pour rendre visite à quelques-uns
de ses voisins. Cette fête rassemble toujours une population immense, et là,
comme à Jagrenat, des malheureux se jettent sous les roues du char pour être
écrasés par elles et mourir saintement. M. Packnam, le secrétaire particulier de
lord William, passait l’an dernier par hasard en ce lieu, au moment de la
cérémonie: il était à cheval. Un Indien, devant lu i, se jeta par terre sur la
route du dieu; les roues allaient l’atteindre, quand M. Packnam, lançant son
cheval au galop, tomba sur le martyr à coups de cravache. Le malheureux se
leva aussitôt et s enfuit à toutes jambes dans les jungles en criant au meurtre!...
I l était parfaitement préparé à une mort affreuse, il avait du courage pour
se faire écraser, mais un coup de fouet ! . . . . il n’y avait pas pensé, et il
s’enfuit à toutes jambes! Bizarre faculté que le courage ! il y a des formes sous
lesquelles la mort parait tout à fait indifférente à ces gens-ci, qui sont si
lâches et si timides. Sans aucune exaltation morale, ils souffrent avec une
incroyable impassibilité des supplices atroces pour une somme assez modique.
On en trouve qui se font balancer en l’air, pendus à tm hameçon enfoncé
dans les chairs et la peau de leur dos, sans un cri, sans un gémissement, et
ils ne savent que baisser la tête et s’enfuir quand un Européen lève la main
sur eux. .
Les Nègres craignent la douleur physique : ils seraient excusables d’être
lâches. Mais quel peut être le principe de la lâcheté d’un être dont la peau
n’est, pas sensible ? quelle peur peut avoir d’un soufflet un homme q u i, pour
une faible récompense, se fait mettre à la torture ?
Les Hollandais jadis avaient sur le Gange un comptoir à Chinsura, à un ou
deux milles (.$ lieue) au-dessus de Chandernagor. A la paix de 1814, ils eurent le
choix de reprendre cet établissement, et deux ou trois autres également microscopiques
sur la côte de Coromandel, ou de les abandonner à la Compagnie, pour
l’île de Java que les Anglais avaient prise, avec toutes les autres Moluques,
pendant la guerre. Je ne sais ce qu’ils gagnent à posséder Java, mais les Anglais
regrettent maintenant de la leur avoir laissée. Il paraît que, deux années
plus ta rd , la France, quand on lui offrit de lui restituer Pondichéry et ses
comptoirs sur le continent, eut aussi à opter entre ces possessions ridicules
et la reprise de l’Ile-de-France. Lord Castelreagh offrait ce marché au duc
de Richelieu. Lequel était le plus inepte, de celui qui le proposait, ou de celui
q u i, libre de son choix, abandonnait Maurice?
De la plate-forme du collège de Sérampour on jouit, sur lu ne et 1 autre
rive du Gange, d’une vue assez étendue. Les arbres qui bordent les champs
de riz et les jungles qui couvrent les terres incultes, donnent au pays, surtout
vers l’ouest, l’aspect d’une immense forêt de laquelle s’élèvent, çà et là ,
les coupoles de quelques pagodes.
Ce ne sont pas les aspects de la nature qui m ont plu à Barrackpour. Notre
admiration pour elle a une sorte de virginité qui se flétrit et que j ai laissée
dans les Alpes et à . Haïti.
Avant de parcourir les Alpes, seul, comme je le fis, avec mes pensées, et
dans la disposition de lame la plus propre à jouir délicieusement de leur
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