
moins d’un mille 1.) au N .O . : on rentre alors dans les jungles. Une transition
de grands espaces herbeux semés d’arbres épars, vous introduit cette
fois à une véritable forêt ; elle parait d’autant plus digne de ce nom qu’elle
n’a pas été détruite sur les bords du chemin. Le vent ne soufflait pas, et la
fraîcheur du matin, au clair de la lune, n’était que délicieuse. Ma petite
bande, plus serrée que de coutume, en considération des éventualités possiblement
cachées derrière les arbres dont nous touchions le feuillage en
passant, marchait silencieuse, et à mesure que nous avancions les arbres
s’élevaient davantage au-dessus de nos têtes. Le soleil en se levant me montra
leur extrême variété. Je reconnus le tropique, que me rappelait aussi la douceur
de la température. Ce qui n’était pas moins nouveau pour moi dans
l’Inde, c’était de l’humidité dans un site élevé. Le lit d’un torrent sans eau me
servit de route au milieu de la forêt. Il est encombré d’une grande variété
de roches primitives, et montre en place des couches nombreuses d’Amphibole
lamelleuses et de Quartz traversées de filons de granité, presque sans
Mica, ou enfermant cette roche en couches subordonnées. Elles sont régulièrement
dirigées du S .O . au N .E ., et fortement inclinées au N .O ., sinon verticales.
G. 2 3 ) Roclie schisteuse de Quartz et d’Amphibole, en couches dirigées
du S . O . au N . E ., et inclinées au N . O . ou verticales, des montagnes
entre Kenachette et Dunghye— (G. 24) Granité en couche et en filons épais,
dans le précédent.
Des gerbes de Bambous pendent sur les bords escarpés du ruisseau, et à
1 ombre de ses roches humides, que recouvrent des Mousses, des Hépatiques,
un Byssus de couleur violette, qui m’est entièrement nouveau, un Lycopode,
de la consistance délicate du L. Alpinum, et une Fougère plus fragile encore,
( Asplénium. . .) , fleurissent plusieurs jolies composées et deux charmantes
espèces de Justicia.
Deux figures d’une espèce nouvelle se présentèrent à moi dans une
des parties les plus pittoresques de la route; c’étaient des gens des hautes
provinces, au service de la Compagnie, voyageant sur de magnifiques chameaux,
vêtus a la turque, en habit de couleur, commodément assis sur une
petite montagne de coussins, entourée à sa base d’un arsenal d’espingoles,
sabres, piques et pistolets : rien de si pittoresque. Le vêtement purement national
des natifs armés les fait trop ressembler à ce qu’ils sont malgré leur
lance et leur damas, des comparses de théâtre, des poltrons déguisés pour se
faire courage.
Après avoir marché quatre ou cinq heures sous ces bois, descendant, mais
avec lenteur, on se trouve tout à coup en face d’une montagne d’un bel effet,
assez élevée, et au pied de laquelle coule, à une grande profondeur, un torrent
qu’il faut traverser. On .est alors sur le bord du plateau, où l’on est monté insensiblement
depuis les bords de la Dummoudah. On en descend en un quart
d’heure par une pente fort roide que l'art a très-peu aplanie : elle n’est brisée
que trois, ou quatre fois pour permettre aux chars à boeufs de s’arrêter.
Quoique les miens soient peu chargés, et que derrière chacun une dizaine
d’hommes cherchent à les retenir avec des cordes, pour modérer leur vitesse
à la descente, boeufs et gens sont entraînés, comme si leur résistance était
nulle. Rien ne casse. J’admire que tout ne soit pas rompu sans excepter les
têtes et les jambes. Peste soit des ingénieurs de la Compagnie ! Je suppose que
ces messieurs se donnent infiniment peu de peine dans leurs reconnaissances,
voyant les lieux de leur palanquin avec une longue-vue, consultant les gens
du voisinage et sacrifiant impitoyablement les voyageurs futurs aux hasards
de leur première et dernière reconnaissance. Lord William Bentinck est très-
désireux d’établir entre Bénarès et Calcutta une route tout à fait européenne,
avec des relais de chevaux au lieu d’hommes. C’est ce qu’une route militaire,
comme celle-ci, faite à dessein et décorée de ce nom, devrait être. Je n’y vois
pas de difficultés ; les torrents sont les seuls obstacles que l’on ne pourrait
surmonter qu’à très-grands frais. Mais après tout, il y a si peu d’Anglais dans
l’Inde, que, sur cette route de beaucoup la plus fréquentée, voici que depuis
un mois, dans la saison des voyages, j ’en ai rencontré trois. La route ne
créerait pas des voyageurs.
Dunghye est un pauvre hameau à 1 mille ( J 1. ) du pied des montagnes d où
l’on est descendu, et au pied même de celle qui leur fait face ; canton très-
fertile en tigres, dit-on, mais où bêtes et gens, le jour, vont au bois comme
s'il n’y en avait pas.
En quittant aujourd’hui les montagnes pour rentrer dans les plaines jusqu’à
Bénarès, je trouve les forêts qui les revêtent plus variées de teintes
qu’en aucun lieu précédent. Toutes les nuances de couleur de l’automne
européen s’y mêlent, et beaucoup d’espèces de feuillages supposent les unes
aux autres. Cela est infiniment gracieux ; mais cet agréable tableau 11e produit
pas Xunité d3impression que fait éprouver celui des bois en Europe, aux
approches de l’hiver, alors que la végétation tout entière est près d expirer.
I l y a dans les pays tempérés, entre le cours des saisons, des périodes de la
vie végétale et animale, et, plus haut, entre elles et la condition des hommes,
un rapport, une harmonie sublime et touchante. Ici, quoique les saisons ne
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